30 mars 2009

Le costume marin (1)



Cette image, "piratée" sur le blog de l'exposition Les Marins font la mode, montre bien toute la diversité stylistique déployée par le costume marin, vêtement emblématique de la mode enfantine, présent dans la garde-robe des enfants des années 1850 à 1940, et même au-delà par la récurrence de certains détails typiques : le grand col carré, les galons appliqués, le code couleur marine/blanc/rouge.

▲ Le costume marin des enfants, vitrine de l'exposition Les Marins font la mode

Le costume marin mérite donc qu'on s'y attarde, et je ne vous parlerai aujourd'hui que de sa naissance.

Le costume "en matelot"

Au XVIIIe siècle, comme leurs pères, les garçons portent la culotte et des chausses [bas]. Vers 1780, sous l'influence conjuguée de l'anglomanie et des théories nouvelles sur l'éducation plus "naturelle" des enfants, diffusées par Emile ou De l'Education de Jean Jacques Rousseau, le vêtement des enfants se fait plus simple, pratique et confortable. On habille les garçons entre 3 et 7 ans du costume dit en matelot, tenue intermédiaire entre la robe du bébé et l'habit masculin adulte [Lire : La culotte des garçons].

Le costume en matelot est constitué d'un frac ou d'une veste droite d'où sort une collerette plissée en lingerie et surtout, ce qui constitue une grande nouveauté, d'un pantalon long à pont, alors seulement porté par les gens du peuple et de la mer – d'où son nom : en matelot ou encore à la marinière. Blanc, ou de teinte pastel, ce costume peut être en taffetas de soie ou en toile de coton. Une large ceinture, souvent en satin, drape la taille assez haute. En France, la reine Marie-Antoinette est la première à l'adopter pour vêtir le premier Dauphin.

▲ à g. : Portrait d'enfant jouant au yoyo ou émigrette
(longtemps dit du Dauphin Louis-Charles et attribué à Elisabeth Louise Vigée Lebrun), vers 1790,
Musée Leblanc-Duvernoy, Auxerre Musées de Bourgogne
à dr. : Frac à col rabattu et pantalon à pont à la matelot portés par le Dauphin au Temple, vers 1792
Musée Galliéra (Ces deux pièces, conservées comme des reliques,
proviennent de deux sources différentes, ce qui explique leur différence de ton.)

Vers 1800, ce costume en matelot se raccourcit en spencer et pantalon boutonnés ensemble (que les Anglais appellent le skeleton suit, que les Français continuent à appeler matelot). Ce pantalon descend plus ou moins bas sur la jambe. Il a de nombreuses fronces à l'arrière, ce qui fait des fessiers importants qui auront tendance à se réduire. Le pont ne monte pas toujours jusqu'en haut du pantalon.

▲ à g. : Les enfants Hülsenbeck (détail), par Philipp Otto Runge, vers 1805-1806
Hamburger Kunsthalle
à dr. : Costume matelot, vers 1820, The Metropolitan Museum of Art, New York

La naissance du costume marin

La reine Victoria, qui veut exalter la fierté nationale de l'Angleterre et sa marine la plus puissante du monde, habille ses enfants de costumes militaires en réduction [pretend uniforms]. Son fils aîné Albert Edouard, prince de Galles, futur Edouard VII, porte lors des croisières familiales sur le yacht royal Victoria & Albert, une tenue de matelot inspirée des uniformes de la Royal Navy : blouse et pantalon à pont blancs, vareuse à grand col bleu et chapeau en toile cirée à ruban noué. Il est ainsi représenté en 1846 vers quatre-cinq ans par le peintre François Xavier Winterhalter.

▲ à g. : Costume marin du prince Albert Edouard, 1846, National Maritime Museum, Greenwich
à dr. : Portrait d'Albert Edouard, prince de Galles, par François Xavier Winterhalter, 1846,
The Royal collection sur Artrenewal

Toutes les familles royales européennes en villégiature craquent sur le portrait de "Bertie" et imitent Victoria. On trouve cela d'autant plus charmant qu'il s'agit d'un simple costume de matelot, et non d'officier. Les petits-enfants de la reine l'adoptent eux aussi, pas seulement les fils d'Albert Edouard, Albert-Victor (né en 1864) et Georges (1867), mais aussi Guillaume (1859), prince allemand de Hohenzollern, futur Guillaume II qui en reçoit en cadeau de sa grand-mère. Les familles régnantes adaptent en mode enfantine les uniformes des marines de leurs pays. Ainsi en France, le prince impérial Louis Napoléon, fils de Napoléon III, porte un costume marin aux couleurs du yacht impérial Reine Hortense (Ce yacht impérial a été remplacé par L'Aigle en 1859).

▲ Costume de matelot du prince impérial, vers 1859,
Musée et château de Compiègne sur Agence photo de la réunion des musées nationaux RMN

En portant un costume inspiré de l'uniforme de la Marine de son pays, l'enfant participe au patriotisme et au nationalisme grandissants de la seconde moitié du XIXe siècle. C'est dans cet esprit que Zoé-Laure de Chatillon peint en 1876 le tableau La Revanche : un garçonnet endormi, revêtu d'un costume marin et d'un chapeau au ruban marqué La Revanche, représente le futur d'une nation forcément victorieuse. On sort de la guerre franco-prussienne qui a provoqué en France la chute du second Empire, cet esprit de revanche va aboutir au désastre de la Première Guerre mondiale.

La Revanche, par Zoé-Laure de Chatillon, 1876,
Musée-Abbaye Saint-Germain, Auxerre sur Musées de Bourgogne

Quoi qu'il en soit, la parution du portrait de Winterhalter et de ces usages royaux dans la presse pendant une quinzaine d'années va étendre cette mode aux milieux aristocratiques et bourgeois, puis aux enfants de tous les milieux, à partir des années 1870-1875. La mode passe de l'Angleterre à l'Allemagne, puis en France et autres pays européens, jusqu'en Russie, et arrive même aux Etats-Unis d'Amérique. Les photos de famille, qu'elles soient royales ou bourgeoises, en attestent. Le costume marin vient d'entrer dans la garde-robe enfantine, et pour longtemps.

(à suivre : Les débuts d'un style)

25 mars 2009

Histoire et origines de la marinière



Une information est tombée il y a quelques temps, qui réjouit comme moi ceux qui s'intéressent à la mode enfantine : Jean Paul Gaultier lance une collection enfant pour l'hiver 2009, Junior Gaultier. Le groupe Zannier - qui détient déjà entre autres les marques Absorba, Catimini, Chipie, Ikks, Kenzo, Lili Gaufrette, réalisera les modèles sous licence. Trois inspirations sont attendues, dont je vous laisse la surprise ; mais nul doute que les rayures marin, signature de Jean-Paul Gaultier, seront de la partie.

Une autre information grignote les pages culturelles d'Internet et de la presse ces dernières semaines : Les Marins font la mode, la nouvelle exposition du Musée national de la Marine.

Il y a de la marinière dans l'air ! Mais d'où vient-elle ?

Origines de la marinière

La marinière est, à l'origine, le costume des matelots. A partir du XVIIe siècle des tableaux hollandais ou anglais représentant des batailles navales montrent des marins habillés de rayures, soit bleues et blanches, soit rouges et blanches, mais jusqu'au second Empire, la règlementation ne concerne que les costumes des officiers. Les hommes d'équipage, souvent des pêcheurs, apportent à bord leurs propres vêtements.

▲ à g. : Marine Royale, 1688, planche de
Costumes Militaires Français depuis l'organisation des premières troupes régulières en 1439 jusqu'en 1789,
d'Alfred de Marbot et de Dunoyer de Noirmont, 1850-1860, musée de l'Armée, Paris,
sur Agence photo de la Réunion des musées nationaux RMN
à dr. : Le Secret de la Licorne, album Tintin, Hergé, 1946, Casterman

En 1858, une ordonnance fixe dans les moindres détails les composantes de l'uniforme des hommes d'équipage : pantalon à pont, chemise blanche à col bleu, manteau court en drap de laine (qui deviendra le caban), et bien sûr le tricot rayé qui sert de tricot de corps. Un bonnet à pompon pour le travail et un chapeau rond pour les sorties complètent la tenue. La marinière doit être « à mailles unies, le tricot se compose de fils teints à l'indigo pur, formant des raies alternativement blanches et bleues. Pour le corps de la chemise, les raies blanches d'une largeur de 20 millimètres sont au nombre de 21 » – selon la légende, le nombre des victoires de Napoléon – « les raies bleues larges de 10 millimètres sont au nombre de 20 à 21. » Pour les manches, c'est « 15 raies blanches pour 14 à 15 raies bleues ». On ne plaisante plus avec le costume dans la marine !

▲Tricot rayé d'homme d'équipage "modèle 1945", vers 1953, Musée national de la Marine


Voilà, notre marinière est donc née.

Mais pourquoi des rayures ?

Dans son livre L'étoffe du diable, Une histoire des rayures et des tissus rayés – dont je vous recommande la lecture, c'est un de mes coups de ♥ – Michel Pastoureau décrit comment la rayure et les étoffes rayées sont longtemps restées en Occident des marques d'exclusion ou d'infamie, et comment depuis le Moyen Âge elle a vêtu tous ceux qui dérangent ou transgressent l'ordre établi : jongleurs, saltimbanques, musiciens, bâtards, prostituées, bourreaux, condamnés, hérétiques, traîtres... Depuis, les codes ont subi des glissements, mais cette symbolique négative a perduré dans le temps, la rayure habille au XXe siècle encore domestiques, prisonniers, bagnards, membres de la pègre, déportés des camps de la mort...

▲ à g. : Gilet de domestique, 1865, The Bowes Museum , Barnard Castle
à dr. : Le valet Nestor, Objectif Lune, album Tintin, par Hergé, 1953, Casterman

▲ à g. : Les frères Dalton dans Le Magot des Dalton, Lucky Luke, 1998, Dargaud
à dr. : Tenue de déporté d'un camp de concentration nazi, 1945

Pour en revenir au monde de la marine, Michel Pastoureau rappelle que la marinière n'est portée que par les simples matelots, que c'est « une pièce de vêtement qui situe celui qui la porte au bas de la hiérarchie ». Il ajoute : « Aujourd'hui encore, par exemple, les officiers de marine français qualifient de 'zèbres' ceux des officiers qui ne sont pas sortis des écoles navales mais du rang, et qui ont donc autrefois porté un tricot rayé bleu et blanc. »

Il n'exclut cependant pas que la marinière puisse être aussi un vêtement signalétique, permettant aux matelots d'être bien visibles lors des manoeuvres toujours dangereuses, ou mieux repérés s'ils tombent à la mer. Une troisième explication, ni symbolique ni utilitaire viendrait tout simplement des contraintes du mode de tissage par métier mécanique utilisé pour sa confection : la marinière est un tricot de dessous destiné à tenir chaud, et pendant longtemps, la bonneterie européenne a surtout produit sur des métiers circulaires des pièces de vêtements rayées (bas, chausses, bonnets, gants). A noter : le tricot rayé descend très bas, jusqu'à mi-cuisses. On dit aussi que la teinture indigo coûtant fort cher, on aurait alterné le blanc et le bleu par souci d'économie.

▲ Bas rayés, vers 1850, The Metropolitan Museum of Art, New York

Hygiène de la rayure

Pendant des siècles, en Occident, il paraît inconcevable de porter un linge de corps qui ne soit autre qu'écru ou blanc, pour des raisons à la fois de modestie et de pureté (surtout quand la couleur est obtenue par des matières animales). Les teinturiers font figure d'alchimistes, on s'en méfie. Les premiers changements apparaissent vers 1860 dans les pays anglo-saxons, et ce changement du blanc à la couleur (pour le linge de corps, de toilette et plus tard les draps) se fait partout de la même manière : par le biais de la rayure et des couleurs pastel. Cette rayure hygiénique, qui purifie la couleur tout en égayant le blanc, n'a bien sûr rien à voir avec la rayure vulgaire et négative héritée du Moyen Âge.

▲ à g : Linge pour homme, La Mode illustrée, 1911, Victoria & Albert Museum, Londres

Une mode balnéaire en bleu marine et blanc

Tous ces usages anciens de la rayure vont curieusement fusionner au XIXe et au XXe siècles, lorsque la société européenne découvre les plaisirs des bains de mer et de la plage. Dès la fin du second Empire, on trouve cette mode des tissus et vêtements rayés sur les plages normandes, telles que les peint par exemple Eugène Boudin.

La Plage de Trouville par Louis Eugène Boudin, 1864,
Musée d'Orsay sur Agence photo de la Réunion des musées nationaux RMN

Cette mode va s'étendre et toucher toutes les côtes d'Europe à la Belle Epoque. Pour la société bourgeoise à la fois puritaine et mondaine, la plage réalise la fusion entre la rayure exotique ou transgressive des marins et la rayure saine et morale du bon air de la mer. Tout devient rayé : les costumes de bain, les serviettes et les peignoirs, les tentes de plage.

▲ Publicité pour des costumes de bain, vers 1880-1889, BnF Cabinet des Estampes, Paris

Le costume de bain fait son apparition, les hommes exhibent sur les plages de la Belle Epoque leur maillot une pièce caleçon gilet de corps en tricot rayé. Ils sont bientôt suivis par les femmes qui, en osant peu à peu montrer leurs jambes, vont apprendre à s'émanciper. La mode du tricot rayé va s'amplifier au cours du XXe siècle au point de devenir un grand classique de l'élégance. En 1917, Gabrielle Chanel lance à Deauville le style marin en pantalon à pont, marinières courtes, maillots et ensembles fluides de jersey rayé. Portée par l'aristocratie et la bourgeoisie aisée, la rayure est chic et raffinée.

▲ à g. : Costume de bain rayé pour homme, vers 1900, Musée Galliéra
à dr. : Dupont et Dupond dans Tintin au pays de l'or noir, Dargaud, 1950

▲ à g. : Gabrielle Chanel en pantalon à pont et tricot rayé, vers 1930
à dr. : Costume marin en tricot, par Gabrielle Chanel, 1917
Archives Chanel sur Les Marins font la mode, Musée national de la Marine

▲ Pablo Picasso, par Robert Doisneau (Silver Photo Agency)
Brigitte Bardot dans Le Mépris, film de Jean Luc Godard, 1963

Dans les années 1950 et 1960, les intellectuels et les artistes adoptent la marinière, comme Pablo Picasso et Brigitte Bardot sur la Côte d'Azur. En 1962, Yves Saint Laurent est le premier à créer des tenues extrêmement élégantes inspirées du marin, dont une marinière. Cela deviendra un exercice de style pour les couturiers et les créateurs. Jean Paul Gaultier en fait son vêtement fétiche, la rayure devient un des codes de la marque. Le tricot rayé ne s'est pas seulement contenté de passer dans l'habillement civil, il est devenu une icône de mode.

▲ La marinière par Jean Paul Gaultier en 1988, 1999, 2002, 2009

Gardiennes du temple, des entreprises comme Saint-James (depuis 1889) ou Armor-Lux (depuis 1938) perpétuent la tradition de la marinière, et s'inscrivent dans le renouveau et la modernité d'une mode atlantique qui mêle uniformes de marins, tenues de pêcheurs et vêtements de loisirs nautiques et balnéaires.

▲ La marinière par Armor-Lux, modèle Saint Guénolé
Charlotte Gainsbourg dans L'Effrontée, film de Claude Miller, 1985

▲ Mode marine par (1985) Jacadi et (2008) Cyrillus

▲ Mode marine atlantique parPetit Bateau

▲ Mode balnéaire par Le Bisou de la Sorcière (1993)

La rayure ludique

Pour les enfants apparaît sous le second Empire le costume marin, sous l'impulsion de la reine Victoria qui en habille son fils Edouard, le prince de Galles, et qui sera largement imité par toutes les familles aristocrates et bourgeoises d'Europe – j'y reviendrai plus longuement dans un prochain article, pour ne me consacrer ici qu'au seul tricot rayé.

Les relations entre l'enfance et la rayure sont particulières. Elles rejoignent bien sûr la rayure hygiéniste, Michel Pastoureau fait remarquer que l'apparition de la rayure pour les enfants coïncide avec celle du bleu ciel et du rose. Un vêtement rayé paraît moins salissant.

Mais la rayure a aussi une dimension dynamique (qui s'épanouira dans le sportswear du XXe siècle), libre et joyeuse, particulièrement bien adaptée à l'univers de l'enfance. Les clowns portent souvent une pièce de costume rayée. La boucle est bouclée : nous retournons à la case départ des jongleurs, des musiciens, des fous du roi et autres trublions du Moyen Âge...

▲à g. : Obélix dans Obélix & Compagnie, Une aventure d'Astérix le Gaulois, 1976, Dargaud
à dr. : Coluche en salopette rayée, Photo Prisma Presse

A lire :

-L'étoffe du diable, Une histoire des rayures et des tissus rayés par Michel Pastoureau, Ed. du Seuil 1991, coll. Points Histoire, 6€. Pour en savoir plus sur la rayure, sur son aspect négatif hérité du Moyen Âge, puis sur sa modernité, par exemple sous la période révolutionnaire, celle de l'époque romantique qui voit apparaître une rayure positive liée à la liberté et la jeunesse...

-JPG rayé en diable, extrait du catalogue d'exposition Les Marins font la mode, Musée national de la Marine / Gallimard, page 73, par Anne Zazzo, conservatrice au Musée Galliéra. Cet excellent article analyse le processus de création de Jean Paul Gaultier, et nous fait sentir comment à partir de la transposition des codes vestimentaires marins, JPG condense toute une chaîne de références, d'images, de métaphores, pour explorer toutes les possibilités de la rayure.

-L'article intitulé La Rayure, illustré de photos de marinières présentées dans l'exposition Les Marins font la mode, par la rédactrice du blog du Musée de la Marine.

(à suivre : Le costume marin)

24 mars 2009

Pauline, portrait de petite fille sous le Second Empire


Je m'appelle Pauline. J'ai sept ans. C'est un monsieur de passage à l'auberge de L'Ange Gardien qui a fait cette photographie, il a demandé la permission à Papa : « elle est si jolie, votre petite fille ». Il a tendu une grande toile dans la cour, il s'est caché sous une couverture noire derrière un grand appareil en accordéon sur un trépied de bois ; il me disait : « ne sois pas si raide... reste naturelle...»

Quand elle a vu la photographie, Maman a hoché la tête : « Tu aurais pu lui dire de se tenir droite, et ce collier est en trop, vraiment ! » Papa a souri : « Non, je trouve que c'est bien elle ». Je suis très contente parce que c'est ma robe préférée, celle avec le beau ruban bleu et les dentelles ; aujourd'hui j'ai grandi, elle est un peu trop courte, mais mon collier en perles de corail je le porterai toujours.

C'est tante Agathe, ma marraine, qui me les a donnés. Quand elle arrive par le chemin de fer, elle a toujours dans son manchon ou dans son sac de voyage un petit cadeau pour moi. Ma tante met des chapeaux à plumes et à rubans, elle est très élégante et elle sent bon, elle me fait envoyer de jolies toilettes. Elle dit que je suis toute chiffonnée, que mes robes grimacent parce que je ne porte pas de crinoline, et qu'à mon âge il est plus que temps que j'apprenne à me tenir. Elle m'a abonnée à La Poupée modèle pour que je prenne exemple sur des poupées à la mode et d'autres petites filles bien élevées.

Cela agaçe Maman, qui préfère m'acheter des livres de la Bibliothèque rose illustrée, elle dit qu'elle n'a pas envie que sa fille devienne une cocotte, mais plutôt une bachelière comme Julie Daubié qu'on a vue dans le journal. Ma tante crie qu'avec la dot qu'elle me prépare je serai un excellent parti, et qu'être trop instruite gâcherait mes chances de trouver un mari convenable. Cela fait rire Papa qui les laisse se disputer, il me prend dans ses bras et me chuchote : «Tu te vois grimper aux arbres avec une crinoline cage ? Tu resterais accrochée à une branche et les oiseaux feraient leur nid dans tes jupons !»

Moi j'aime bien les robes qui tournent, et les ombrelles, et mon petit éventail bleu à plumes qui vient de Paris, mais j'aime bien lire aussi, par exemple Les Malheurs de Sophie de Madame la comtesse de Ségur. Rrhô ! toutes les bêtises qu'elle fait Sophie ! Offrir à ses amis du thé fait de terre, de feuilles et de l'eau du chien ! Mais c'est normal, elle est encore petite, et parfois on ne peut pas s'en empêcher, comme l'autre jour, avec mon cousin Louis, on jouait dans le cellier et on cassé plein d'oeufs. On a eu la fessée, Louis pleurait et criait, mais moi pas beaucoup, je savais bien que c'était mal. On ne doit pas gâcher la nourriture alors qu'il y a tant de pauvres gens qui ne mangent pas à leur faim !


Photographie (ci-dessus) : Portrait de fillette par Charles David Winter, vers 1870, Musée des Beaux-Arts de Strasbourg

Planche : La Poupée modèle, 1864

Extrait vidéo : Les Malheurs de Sophie, téléfilm de Jean-Claude Brialy, 1981, Jakarno Productions & Antenne 2 (INA)


18 mars 2009

Crinoline (6) - pour en savoir plus



Voici le récapitulatif des articles sur la crinoline des fillettes du Second Empire sur Les Petites Mains :
Crinoline (1) – Les petites filles modèles
Crinoline (2) – de 1852 à 1860
Crinoline (3) – de 1860 à 1866
Crinoline (4) – de 1866 à 1869
Crinoline (5) – Les caractéristiques de la mode du Second Empire

Pour en savoir plus, lire :

Sous l'Empire des crinolines, Paris Musées, Musée Galliéra 29 novembre 2008 - 26 avril 2009, catalogue d'exposition, collectif. C'est le catalogue de l'exposition au Musée Galliéra, indispensable pour (presque) tout connaître de la mode du Second Empire (même si on n'y parle pas de mode enfantine).

Modes enfantines, 1750-1950, Paris, Musée de la mode et du costume, Palais Galliéra, juin-novembre 1979 catalogue d'exposition, par Madeleine Delpierre, Fabienne Falluel (épuisé mais encore disponible en bibliothèque). C'est une excellente base pour aborder par les textes les différentes époques de la mode enfantine, de 1750 à 1950. Le mannequinage des vêtements et les photographies en noir et blanc sont par contre bien dépassés.

Voir :

►la page myspace et la vidéo dailymotion de l'exposition Sous l'Empire des crinolines.

▲La jeune Mademoiselle Jessie Notman, par William Notman, 1865, Musée Mac Cord, Montréal

►Pour voir des photos d'époque victorienne, vous pouvez explorer le fonds photographique impressionnant de William Notman (1826-1891) sur le Musée Mac Cord, Montréal (Québec) – la visite est passionnante – et/ou celui de la National Portrait Gallery, Londres [marche à suivre : advanced search choisir «portrait», case «subjects & themes» : choisir genre, puis dans la 2e case choisir children ; on peut aussi mettre des dates butoir, le Second Empire français c'est 1852-1870, mais on a porté la crinoline de 1845 à 1869. On peut ainsi voir, d'une photographie à l'autre, les enfants de certaines familles grandir sous nos yeux ! ].
- «La crinoline dans tous ses états» est un article du site de la RMN (Réunion des musées nationaux) : 1789-1939 L'Histoire par l'image. A partir d'une lithographie satire de la crinoline, des spécialistes traitent du sujet suivant le plan type : contexte historique / analyse de l'image / interprétation. Ce site explore l’Histoire de France à travers les collections des musées et les documents d'archives. 1640 œuvres, 908 études et 108 animations à notre disposition pour des thèmes à aborder de façon chronologique ou thématique : une manière bien agréable d'apprendre l'histoire ! D'autres études sont disponibles sur ce site, à partir du mot clé crinoline

À lire aussi sur Les Petites Mains, le portrait (fiction) de Pauline, sept ans, «petite fille modèle».

▲La crinoline interprétée par Le Bisou de la Sorcière, robe de cérémonie, été 1998

16 mars 2009

Crinoline (5) - Mode fillette sous le Second Empire


Pour conclure, voici quelques caractéristiques types pour mieux décrypter la mode du Second Empire :

■ Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, la longueur des jupes des fillettes fait le yoyo. Elle dépend à la fois de la mode et de l'âge de la demoiselle. Afin d'épargner aux mères un écart aux convenances et permettre à leurs filles de rester «décentes», les journaux rappellent les règles en cours, comme ◄ ci-contre le Harper's Bazar en 1868 sur Wikimedia

■ Pour ne pas salir son vêtement, lorsqu'elle est chez elle, la petite fille porte un tablier de protection à bavette, le plus souvent blanc, ou peu salissant. En 1870, la rédactrice du Journal des jeunes filles le recommande : «très gracieux, il devient un ornement et un complément à la mise d'intérieur», mais le déconseille au-delà de l'âge de douze ou quatorze ans. Cette mode va aboutir à la fin du siècle à un nouvel élément du costume, la robe-tablier.

▲à g. : Portrait de la famille Bellelli, par Edgar Degas, 1860-1862,
Musée d'Orsay, Paris sur Agence photo de la Réunion des musées nationaux RMN
à dr. : Tablier de fillette en coton, 1868,
The Wisconsin Historical Society, Madison

■ Autre nouvel élément du costume : le paletot. D'abord porté à l'intérieur ou le matin par les hommes, puis adopté par les femmes et les enfants, c'est une veste vague et conique, appréciée pour son confort. Il a l'avantage, parce qu'il n'a pas besoin d'être porté ajusté, de pouvoir être acheté tout fait au rayon confection d'un grand magasin.

▲à g. : Ensemble fille, paletot et pouf, vers 1866, Musée Galliéra
à dr. : Jeune fille inconnue (détail), photographie de William Notman, 1861,
Musée Mac Cord, Montréal

■ Le goût pour le XVIIIe siècle est considéré par certains historiens du costume comme à l'origine même de la crinoline, sorte de résurgence du panier. L'impératrice Eugénie, fascinée par Marie-Antoinette, encourage cette mode, qu'on retrouve aussi dans les tissus et ornements floraux, les éventails, et certains détails du vêtement, comme le pouf, inspirés de la polonaise.

▲ à g. : Robe pour une fillette de 6-7 ans, Musée National du Danemark, Tidenstoej
au centre : bouton français, vers 1850,
The Metropolitan Museum of Art, New York
à dr. : Planche du Journal des Dames et des Demoiselles,
costume pour garçonnet de 5 ans et robe pour fillette de 11-14 ans, vers 1852,
marquise.de

On adore les bals costumés, désormais on peut trouver des déguisements tout faits à prix raisonnable dans les rayons des grands magasins. Les romans de Walter Scott et les nombreuses représentations des enfants royaux de Victoria, en costume écossais à Balmoral, lancent le goût du tartan écossais et du kilt. Toutes ces influences historicisantes se retrouvent particulièrement dans le vestiaire du garçonnet, mais aussi celui de la petite fille.

▲à g. : Le prince Alfred et la princesse Helena (enfants de la reine Victoria),
par Franz Xaver Winterhalter, 1849, The Royal collection sur Artrenewal
à dr. : Robe à carreaux en laine, bordure soie, vers 1860,
The Metropolitan Museum of Art, New York

▲ à g. : Robe à carreaux en laine de coupe princesse, vers 1860-1869
au centre : chapeau, 1865-1870, The Metropolitan Museum of Art New York
à dr. : Portrait de Francisca Keban, par Joseph Nitschner, 1861, sur Wikimedia Commons

■ L'enfant n'échappe pas non plus à la vogue orientaliste exotique. Ainsi lors de la conquête de l'Algérie apparaît le burnous – appelé à une longévité exceptionnelle dans le vêtement layette.

▲ à g : Burnous, vers 1860-1870, Victoria & Albert Museum, Londres
à dr. : La princesse Béatrice, par Franz Xaver Winterhalter, 1859,
The Royal collection sur Artrenewal

■ Les accessoires, ombrelles, chapeaux, gants, manchons, etc., sont des compléments obligatoires du costume. Certes encombrants, ils apprennent aux fillettes les gestes fondamentaux qui incombent à leur sexe, gages d'une éducation soignée.

▲Bottines enfant, chapeau de paille, vers 1875, Musée Galliéra sur Base Joconde

▲Éventail brisé, pour fillette et ombrelle en soie, vers 1850,
The Metropolitan Museum of Art, New York

■ Les progrès techniques permettent la découverte de nouveaux colorants chimiques qui modifient la perception des couleurs : rouge Solférino, bleu impératrice, brun Bismarck, et tous les tons crus et durs de rose, jaune, violet, vert... Ils contribuent à l'image tapageuse du Second Empire.

▲ en ht : Cape de fillette en soie ornée d'un ruban de soie, vers 1850-1859
en bas : Cape de fillette en laine orné de soutache blanche, vers 1865-1875
The Wisconsin Historical Society, Madison

■ Sous le Second Empire, pour répondre à leurs différentes obligations mondaines qui chacune exige une tenue différente, les femmes portent des robes à transformation : à une même jupe, selon l'heure de la journée et la circonstance, correspond un corsage différent. On peut imaginer que cette pratique a aussi influencé la mode fillette.

▲Ensemble robe et corsage en coton et soie, vers 1864,
The Metropolitan Museum of Art, New York

(à suivre : La crinoline : pour en savoir plus)

11 mars 2009

Crinoline (4) - de 1866 à 1869


De 1866 à 1869 : Sous l'influence de la presse et des catalogues des grands magasins, qui diffusent des modèles de plus en plus nombreux, de nouvelles formes de robes apparaissent, plus simples. Ainsi La Mode illustrée, journal conservateur pour les familles, qui s'adresse à la nouvelle classe moyenne, milite pour l'abandon de la crinoline (pas seulement pour les fillettes).

▲à g. : Portrait de Elinor Rendel, née Strachey, photographie carte de visite de William Howard, 1863,
National Portrait Gallery, Londres
à dr. : Robe de fillette en twill de laine rouge et
ruban appliqué en velours de soie noire, 1868-1870,
Los Angeles County Museum of Arts, Los Angeles

▲à g. : Robe de fillette en gabardine de laine,
bordure de dentelle et application d'un ruban de velours,
Wisconsin Historical Society, Madison
à dr. : Portrait de Dorothy Bussy, née Stracher,
photographie carte de visite de Bourne & Shepherd, 1869,
National Portrait Gallery, Londres

Les jupes, moins larges, à nouvelle ligne en cône, raccourcissent, même pour les «grandes fillettes», sans montrer le pantalon de lingerie. On porte des bretelles par-dessus des guimpes. Le corsage ou la veste, au décolleté carré, à basque découpée, a des ornements géométriques et des bordures en dents de scie. Les chapeaux bas, à bords étroits, se portent sur le front.

▲à g. : Robe en lainage à carreaux et bordure de velours noir de ligne princesse, vers 1860-1869,
The Metropolitan Museum of Art, New York
à dr. : Petite fille, photographie auteur anonyme,
Musée d'Orsay, Paris sur Agence photo de la Réunion des musées nationaux RMN

▲à g. : Fillette à la poupée, par Ferdinand Roybet, 1865,
Musée d'Orsay, Paris sur Agence photo de la Réunion des musées nationaux RMN
au centre et à dr. : Robe et pélerine, vers 1869, Los Angeles County Museum of Arts, Los Angeles

▲à g. : Portrait de Camilla Teresa Serjeant, née Bassano,
photographie de Alexander Bassano, vers 1860,
National Portrait Gallery, Londres
en ht à dr. : chapeau, 1868, en bas à dr. : bottines en cuir et bois, 1868,
The Metropolitan Museum of Art, New York

A partir de 1869, les fillettes comme leurs mères, portent le pouf, soit sous la forme d'une petite jupe de dessus drapée par des fronces ou retenue par des cordons, soit sous la forme d'une polonaise à trois pans froncés.

▲à g. : Fillette en pied et en buste, carte de visite photographie
de l'album «Beautés-Modes» de Adolphe-Eugène Disdéri, 1867,
Musée d'Orsay, Paris sur Agence photo de la Réunion des musées nationaux RMN
à dr. : Ensemble comprenant une jupe ronde, une robe de dessus et une jaquette à basques
en alpaga beige bordé de laine bleu vif, vers 1868, Musée Galliéra

▲à g. : La princesse Beatrice of Battenberg, photographie carte de visite de W&D Downey, 1868,
National Portrait Gallery, Londres
à dr. : Tunique en taffetas de soie rayée d'un ensemble pour fillette avec jupe, 1870,
The Metropolitan Museum of Art, New York

La crinoline disparaît en 1869 pour laisser place à la tournure, que les fillettes seront dispensées de porter. Mais elles n'échapperont pas au style «tapissier» surchargé en décor.

(à suivre : Les caractéristiques types de la mode du Second Empire)

6 mars 2009

Crinoline (3) - de 1860 à 1866


De 1860 à 1866 : Comme pour la femme, le costume des enfants se simplifie, s'allège en ornementation. Les petites filles portent des robes plus simples, souvent en une seule pièce, soit à plis, soit de ligne princesse – c'est-à-dire taillée d'une seule pièce devant avec le corsage. Cette jupe ajustée à la taille va s'élargissant, à panneaux, évasée, ou en forme.

▲à g. : Mademoiselle Ehrler, par Louis Antoine Léon Riesener, 1861,
Musée du Petit Palais, Paris sur Agence photo de la Réunion des musées nationaux RMN
à dr. : Robe de laine rose ornée de rubans, vers 1860-1875,
The Metropolitan Museum of Art

▲à g. : Petite fille, par Héloïse Leloir, vers 1860, Musée Galliéra
à dr. : Planche de La Mode illustrée, jeune fille en robe d'été (détail), 1865, Musée Galliéra

▼ci-dessous : chemisette pour fillette, vers 1860-1869,
The Metropolitan Museum of Arts, New York

Les robes sont ornées seulement d'une soutache, d'un galon ou d'une dentelle posée à plat. La crinoline est très ample. Jusque vers 1863, le pantalon large dépasse un petit peu de la robe.

▲à g. : Petite fille en pied tenant une poupée par Achille Bonnuit, vers 1865,
Musée d'Orsay, Paris, sur Agence photo de la Réunion des musées nationaux RMN
à dr. : Robe en piqué de coton imprimé, ornée d'une dentelle appliquée, vers 1861-1865,
The Roman Baths Museum, Bath

▲à g. : Robe de soie bleue ornée d'un ruban de velours noir, vers 1855,
Victoria & Albert Museum, Londres
à dr. : Arrivée du couple impérial chez M. le Sénateur Comte Mimerel à Roubaix le 29 août 1867 (détail)
par Claude Jacquand, 1867,
Château de Compiègne sur Agence photo de la Réunion des musées nationaux RMN

▲à g. : La princesse Beatrice of Battenberg, photographie carte de visite de Hills & Saunders (détail), 1864,
National Portrait Gallery, Londres
à dr. : Modes de Londres (détail), 1863

Les ensembles jupes boléros sont portés aussi par les petits garçons. Mantelets vagues, capes et basquines servent de manteaux.

▲à g. : Ensemble en piqué de coton orné d'une soutache, vers 1860, Musée Galliéra
à dr. : Portrait de Elinore Rendel, photographie carte de visite de Howard Bourne & Sheperd, 1864,
National Portrait Gallery, Londres

Les chapeaux ne copient plus les capotes des femmes, ils sont souvent ovales, à large calotte peu élevée, garnis de plumes et de rubans. Les cheveux tirés en arrière sont rassemblés en catogan sur la nuque, et tenus dans un filet.

▲à g. : Costumes de ville (détail), gouache par Héloïse Leloir, 1864, Musée Galliéra
à dr. : La princesse Beatrice de Battenberg, photographie carte de visite de W&D Downey (détail), 1866,
National Portrait Gallery, Londres
au centre : chapeau de paille, vers 1867-1869,
The Metropolitan Museum of Art, New York


(à suivre : La crinoline de 1866 à 1869)