30 mars 2009

Le costume marin (1)



Cette image, "piratée" sur le blog de l'exposition Les Marins font la mode, montre bien toute la diversité stylistique déployée par le costume marin, vêtement emblématique de la mode enfantine, présent dans la garde-robe des enfants des années 1850 à 1940, et même au-delà par la récurrence de certains détails typiques : le grand col carré, les galons appliqués, le code couleur marine/blanc/rouge.

▲ Le costume marin des enfants, vitrine de l'exposition Les Marins font la mode

Le costume marin mérite donc qu'on s'y attarde, et je ne vous parlerai aujourd'hui que de sa naissance.

Le costume "en matelot"

Au XVIIIe siècle, comme leurs pères, les garçons portent la culotte et des chausses [bas]. Vers 1780, sous l'influence conjuguée de l'anglomanie et des théories nouvelles sur l'éducation plus "naturelle" des enfants, diffusées par Emile ou De l'Education de Jean Jacques Rousseau, le vêtement des enfants se fait plus simple, pratique et confortable. On habille les garçons entre 3 et 7 ans du costume dit en matelot, tenue intermédiaire entre la robe du bébé et l'habit masculin adulte [Lire : La culotte des garçons].

Le costume en matelot est constitué d'un frac ou d'une veste droite d'où sort une collerette plissée en lingerie et surtout, ce qui constitue une grande nouveauté, d'un pantalon long à pont, alors seulement porté par les gens du peuple et de la mer – d'où son nom : en matelot ou encore à la marinière. Blanc, ou de teinte pastel, ce costume peut être en taffetas de soie ou en toile de coton. Une large ceinture, souvent en satin, drape la taille assez haute. En France, la reine Marie-Antoinette est la première à l'adopter pour vêtir le premier Dauphin.

▲ à g. : Portrait d'enfant jouant au yoyo ou émigrette
(longtemps dit du Dauphin Louis-Charles et attribué à Elisabeth Louise Vigée Lebrun), vers 1790,
Musée Leblanc-Duvernoy, Auxerre Musées de Bourgogne
à dr. : Frac à col rabattu et pantalon à pont à la matelot portés par le Dauphin au Temple, vers 1792
Musée Galliéra (Ces deux pièces, conservées comme des reliques,
proviennent de deux sources différentes, ce qui explique leur différence de ton.)

Vers 1800, ce costume en matelot se raccourcit en spencer et pantalon boutonnés ensemble (que les Anglais appellent le skeleton suit, que les Français continuent à appeler matelot). Ce pantalon descend plus ou moins bas sur la jambe. Il a de nombreuses fronces à l'arrière, ce qui fait des fessiers importants qui auront tendance à se réduire. Le pont ne monte pas toujours jusqu'en haut du pantalon.

▲ à g. : Les enfants Hülsenbeck (détail), par Philipp Otto Runge, vers 1805-1806
Hamburger Kunsthalle
à dr. : Costume matelot, vers 1820, The Metropolitan Museum of Art, New York

La naissance du costume marin

La reine Victoria, qui veut exalter la fierté nationale de l'Angleterre et sa marine la plus puissante du monde, habille ses enfants de costumes militaires en réduction [pretend uniforms]. Son fils aîné Albert Edouard, prince de Galles, futur Edouard VII, porte lors des croisières familiales sur le yacht royal Victoria & Albert, une tenue de matelot inspirée des uniformes de la Royal Navy : blouse et pantalon à pont blancs, vareuse à grand col bleu et chapeau en toile cirée à ruban noué. Il est ainsi représenté en 1846 vers quatre-cinq ans par le peintre François Xavier Winterhalter.

▲ à g. : Costume marin du prince Albert Edouard, 1846, National Maritime Museum, Greenwich
à dr. : Portrait d'Albert Edouard, prince de Galles, par François Xavier Winterhalter, 1846,
The Royal collection sur Artrenewal

Toutes les familles royales européennes en villégiature craquent sur le portrait de "Bertie" et imitent Victoria. On trouve cela d'autant plus charmant qu'il s'agit d'un simple costume de matelot, et non d'officier. Les petits-enfants de la reine l'adoptent eux aussi, pas seulement les fils d'Albert Edouard, Albert-Victor (né en 1864) et Georges (1867), mais aussi Guillaume (1859), prince allemand de Hohenzollern, futur Guillaume II qui en reçoit en cadeau de sa grand-mère. Les familles régnantes adaptent en mode enfantine les uniformes des marines de leurs pays. Ainsi en France, le prince impérial Louis Napoléon, fils de Napoléon III, porte un costume marin aux couleurs du yacht impérial Reine Hortense (Ce yacht impérial a été remplacé par L'Aigle en 1859).

▲ Costume de matelot du prince impérial, vers 1859,
Musée et château de Compiègne sur Agence photo de la réunion des musées nationaux RMN

En portant un costume inspiré de l'uniforme de la Marine de son pays, l'enfant participe au patriotisme et au nationalisme grandissants de la seconde moitié du XIXe siècle. C'est dans cet esprit que Zoé-Laure de Chatillon peint en 1876 le tableau La Revanche : un garçonnet endormi, revêtu d'un costume marin et d'un chapeau au ruban marqué La Revanche, représente le futur d'une nation forcément victorieuse. On sort de la guerre franco-prussienne qui a provoqué en France la chute du second Empire, cet esprit de revanche va aboutir au désastre de la Première Guerre mondiale.

La Revanche, par Zoé-Laure de Chatillon, 1876,
Musée-Abbaye Saint-Germain, Auxerre sur Musées de Bourgogne

Quoi qu'il en soit, la parution du portrait de Winterhalter et de ces usages royaux dans la presse pendant une quinzaine d'années va étendre cette mode aux milieux aristocratiques et bourgeois, puis aux enfants de tous les milieux, à partir des années 1870-1875. La mode passe de l'Angleterre à l'Allemagne, puis en France et autres pays européens, jusqu'en Russie, et arrive même aux Etats-Unis d'Amérique. Les photos de famille, qu'elles soient royales ou bourgeoises, en attestent. Le costume marin vient d'entrer dans la garde-robe enfantine, et pour longtemps.

(à suivre : Les débuts d'un style)

5 commentaires:

  1. Bonjour,

    De nouveau un article fort intéressant et bien illustré. On se complète dans l'évocation de la naissance du costume, toi chez les enfants, qui furent les premiers à les porter, et moi avec le costume de bain féminin.

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  2. Les petites Mains31 mars 2009 à 14:23

    En effet, quand, dans l'article précédent sur la marinière j'ai écrit : "Ils [les hommes] sont bientôt suivis par les femmes qui, en osant peu à peu montrer leurs jambes, vont apprendre à s'émanciper." je pensais très fort à toi !

    Ceci dit, si costume marin et costume de bain partagent certains détails stylistiques en commun, ils se différencient aussi. Je pense que j'en parlerai dans un des articles prochains sur le costume marin.

    Merci pour ton petit mot.

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  3. Bonjour !
    Votre page est très intéressante. Je cherche actuellement des documents sur la robe de baptème : histoire, caractéristiques, images... Auriez-vous des idées de documents à ce sujet ?
    Merci et bravo

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  4. Bonjour,

    J'ai moi-même un peu parlé de la robe de baptême dans l'article "couleur : blanc"{http://les8petites8mains.blogspot.com/2009/10/couleur-blanc.html}.

    Dans l'article "Mes sources" {http://les8petites8mains.blogspot.com/2009/10/mes-sources.html}, je mentionne le catalogue d'exposition La Mode et l'Enfant 1780... 2000 (ma bible), du musée Galliéra ; l'histoire de la robe de baptême y est décrite page 90, ce peut être un bon point de départ de recherche.

    Je ne connais pas d'autre document. Je ne suis pas certaine non plus qu'il y ait tant de choses à en dire.

    Tenez-moi au courant, en signant de votre petit nom...

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  5. Bonjour,
    Le costume matelot était composé d'une veste dite ronde, appelée parfois carmagnole devenue plus tard, pour les plus grands, spencer et d'un pantalon, qui pour être soutenu, était boutonné à la veste. Pour mieux s’adapter à la croissance et aux mouvements de l’enfant ce boutonnage s’est fait souvent par l’intermédiaire de rubans élastiques. Ces rubans étaient tricotés et non tissés pour plus de souplesse. Pour plus d’élasticité, on y incorporait au début des petits ressorts en laiton. Entre 1820 et 1830 les ressorts en laiton ont été remplacés par des filaments de caoutchouc brut. On ne connaissait pas encore la vulcanisation du caoutchouc mais ce caoutchouc brut apportait une amélioration notable. L’écharpe portée en ceinture avait une fonction décorative mais aussi permettait de masquer la jonction entre le pantalon et la veste ce que ne faisait pas l’écharpe portée en bandoulière.
    Le costume “à la matelot” s’est dit aussi “à la hussard”. La différence résidait dans la forme du pantalon. Une sorte de pantalon en forme de fuseau, plus large au niveau des hanche et des cuisses puis se rétrécissant vers le bas pour entrer dans des bottes. C’était une copie miniature de l’uniforme militaire. Je n’ai pas trouvé de textes qui le disent, mais on peu supposer que ce pantalon permettait de garnir d’une protection le petit enfant ne maitrisant pas encore ses fonctions physiologiques.
    Le frac ou la redingote ne faisait pas partie du costume matelot mais venait s’y rajouter.
    Jacques

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