Je me rappelle ma chouette salopette rouge,
de cette enfant qui pirouette et qui bouge,
c’était le printemps et constamment
je voulais porter ce vêtement !
Elle était rouge comme mon mini vélo,
j’adorais pédaler ma salopette sur le dos.
Elle était large et confortable
je me sentais invulnérable,
je mettais les mains dans les poches
je n’avais plus les pétoches.
Je me prenais pour Fifi Brindacier,
je passais chez le pâtissier
acheter des boules de gommes,
j’étais haute comme trois pommes !
C’était ma salopette « Chipie »
je faisais le ouistiti !
Avec ma belle bicyclette
et ma chouette salopette,
j’oubliais d’avoir les chocottes,
j’étais une vraie tête de linotte !
Mais j’ai grandi et maintenant
je hais le rouge intensément...
Jolie et tendre évocation de l’enfance que Bambita brunette fillette qui pirouette et qui bouge dans sa chouette salopette rouge ! Couleur des ballons, bonbons et confitures, le rouge joyeux et ludique traduit bien le sentiment d’enfance.
▲à g. : Publicité confitures Bonne Maman, parution presse écrite, 2009à dr. : Enfant à la sucette, queen'slace sur Flickr, 2006 ▲à g. : Le ballon rouge, film de Albert Lamorisse,
avec Pascal Lamorisse, Renaud et David Séchan, Gébéka Films
à dr. : Bottes en vinyle rouge dites Wellington en Grande-Bretagne,
(le modèle dont elles s’inspirent fut popularisé par Arthur Wellesley, premier duc de Wellington)
fabrication Dunlop, Manchester City Galleries, 1977-1978
Longtemps, parler de rouge et de couleur a été la même chose, le rouge est la première, la plus belle des couleurs. Dans certaines langues, le même mot exprime le rouge et le coloré - coloratus en latin, colorado en espagnol ; en russe, krasnoï signifie à la fois rouge et beau.
Dans Le petit livre des couleurs, l’historien Michel Pastoureau écrit à propos du rouge et de son succès dans l’histoire de l’Europe occidentale : « Cette couleur va s’imposer parce qu’elle renvoie à deux éléments, omniprésents dans toute son histoire : le feu et le sang. On peut les considérer, soit positivement soit négativement, ce qui nous donne quatre pôles autour desquels le christianisme primitif a formalisé une symbolique si forte qu’elle perdure aujourd’hui. Le rouge feu, c’est la vie, l’Esprit saint de la Pentecôte, les langues de feu régénératrices qui descendent sur les apôtres ; mais c’est aussi la mort, l’enfer, les flammes de Satan qui consument et anéantissent. Le rouge sang, c’est celui versé par le Christ, la force du sauveur qui purifie et sanctifie ; mais c’est aussi la chair souillée, les crimes (de sang), le péché et les impuretés des tabous bibliques ».
La symbolique du rouge est associée à celle du sang et à celle du feu, il y a donc par là un bon et un mauvais rouge comme il y a un bon et un mauvais sang, un bon et un mauvais feu. Tous les usages du rouge de nos archétypes sociaux et de notre vie quotidienne s’appuient sur cette symbolique des quatre rouges. Je me concentre ici particulièrement sur ce qui concerne l’enfant, mais pour en savoir plus, je vous invite à lire les livres passionnants de Michel Pastoureau, ainsi que l’entretien publié sur le site de la BNF à l’occasion de l’exposition « Rouge » de Christian Lacroix en 2005-2006.
►Rouge, couleur de l’enfance
Ainsi au Moyen Âge le rouge est déjà la couleur de l'enfance, chaque personne en porte pour rappeler qu'il fut un enfant : « Veoir couleur vermeille enforest corage d’ome – voir la couleur vermeille renforce le courage de l’homme » écrit au XIIIe siècle Raymond Lulle, philosophe apologiste chrétien, auteur de traités sur l’enfance. Cette couleur de pouvoir est censée protéger les enfants des maladies ou accidents, des saignements de nez ou de la rougeole. Dans les classes aisées, on lie les langes des nourrissons de bandelettes rouges, couleur de sang, pour leur donner la force de rester en bonne santé et de repousser la mort – selon la spécialiste de l’enfance au Moyen Âge, Danièle Alexandre-Bidon, un enfant sur trois meurt avant d’avoir atteint l’âge de cinq ans. Le rouge, couleur diabolique, chasse aussi les mauvais esprits et les démons – on connaît la croyance en l’« enfant changelin » substitué par le Diable à l’insu des parents.
▲Les sept âges de la vie (détail) dans Le Livre des propriétés des choses de Barthélémy l’Anglais, traduction française par Jean Corbechon, illustré par le Maître de Boucicaut, Paris vers 1410, BNFCouleur du luxe héritée de la pourpre impériale antique, le rouge est aussi au Moyen Âge et à la Renaissance la couleur la plus noble – j’y reviendrai dans un prochain article. S’habiller de rouge est réservé à l’aristocratie et fait l’objet de lois somptuaires. On ne s’étonne donc pas de voir les petits princes habillés de rouge.
▲à g. : Portrait de Jean de Médicis bébé, fils du grand-duc de Toscane Cosme Ie et d'Éléonore de Tolède, par Allori Angelo di Cosimo, dit Bronzino, vers 1544-1545, sur Wikipediaà dr. : Le prince Federico d'Urbino dans son berceau, par Federico Barocci, 1605, Galerie Palatine, Florence sur Wikimedia Commons
►Le petit chaperon rouge
Est-il possible de parler de rouge et d’enfance sans évoquer le fameux Petit Chaperon rouge du conte ? Un jour ou l’autre, vous avez ouvert votre dictionnaire pour enfin savoir ce que sont la chevillette et la bobinette, vous avez aussi par la même occasion découvert que le chaperon est « une coiffure à bourrelet prolongée d’une sorte de queue », en fait, au XVIIe siècle une simple bande de tissu que des bourgeoises attachent à leur tête. Beaucoup d’illustrateurs en font une pèlerine avec capuchon, plus seyante, plus moderne aussi.
▲Le petit chaperon rouge, par François Richard Fleury, vers 1820,Musée du Louvre sur Agence photographique de la RMN
On trouve la trace de l’histoire du Petit Chaperon rouge très haut dans la tradition orale du Moyen Âge européen, sous différentes versions, par exemple, vers l’an mille, dans la région de Liège, sous le titre La Petite Robe rouge. Il est fixé et retranscrit par le biais des versions de Charles Perrault dans Les Contes de ma Mère l’Oye en 1697.en France, puis des frères Grimm dans les Contes des Enfants et du Foyer en 1812 en Allemagne, avec de multiples variantes diffusées par la littérature de colportage, on peut en lire sur le mini-site Contes de fées de la BNF.
À l’époque de Charles Perrault, le chaperon est une coiffure féminine déjà démodée. Ce n’est pas étonnant, le costume des enfants de l’Ancien Régime, s’il copie la mode des adultes, se caractérise aussi par ses détails archaïques et ses emprunts aux modes populaires. Mais pourquoi rouge ?
Les hypothèses sont multiples. Si on en fait une interprétation symbolique basique, le rouge représenterait le sang qui coule, le meurtre de la grand-mère, et même du Chaperon rouge dans certaines versions ; c’est un peu sommaire. D’après Bruno Bettelheim, auteur de la Psychanalyse des contes de fées, le Petit Chaperon rouge symbolise le passage de la fillette à la puberté, le cycle menstruel, l’envie de « voir le Loup ». Cela ne convainc guère les historiens, d’une part parce l’analyse de Bettelheim est basée sur le conte de Perrault trop souvent modifié, qui omet des détails importants de l’évolution du conte. D’autre part, on ne peut pas affirmer que le rouge a une connotation sexuelle dans la symbolique médiévale des couleurs.
▲Le Petit Chaperon rouge, par Gustave Doré, 1867,sur Wikipedia
Comme déjà dit plus haut, vêtir les jeunes enfants de rouge est une pratique courante au Moyen Âge, même en milieu paysan, le rouge protège les enfants de toutes sortes de maux – ou alors est-ce juste plus facile de les repérer pour les surveiller. Peut-être aussi le Petit Chaperon rouge a-t-elle mis sa plus belle tenue pour rendre visite à sa grand-mère, c’est-à-dire – c’est un pléonasme pour le vêtement féminin de l’époque, un vêtement rouge. Ou encore, il est vraisemblable que l’enfant, née le jour de la Pentecôte (détail présent dans la plus ancienne version du conte), se trouve consacrée à la couleur rouge de l’Esprit saint.
▲à g. : Cape enfant, 1890, The Metropolitan Museum of Artà dr. : Jannis & Fanny Meson en capes à capuchons, ph. Warwick Brookes, 1892,
Cathedral Steps, Manchester sur Flickr Pool Vintage Kids
Michel Pastoureau avance une dernière hypothèse d’ordre sémiologique particulièrement intéressante et séduisante pour l’esprit, basée sur la structure du conte et son partage en trois couleurs : la fillette porte un vêtement rouge et un petit pot de beurre blanc à sa grand-mère vêtue de noir – le loup aussi est noir, qui remplace la grand-mère. Nous aurions là les trois couleurs blanc-rouge-noir, noyau typique de tous les contes et toutes les fables des cultures anciennes : on les retrouve par exemple dans la fable Le corbeau et le renard (un fromage blanc passe du corbeau noir au renard rouge) ou le conte Blanche-Neige (une sorcière vêtue de noir remet une pomme rouge empoisonnée à une princesse au teint très blanc)…
▲à g. : Le Petit Chaperon rouge, par John Everett Millais, 1881,Joslyn Art Museum, Nebraska
à dr. : Cape rouge, 1898–1899, The Metropolitan Museum of Art
▲à g. : Premier sermon, par John Everett Millais, 1862-1863, Guildhall Art Gallery, Londres
à dr. : Second sermon, par John Everett Millais, 1864, Victoria & Albert Museum, Londres
sur Wikipedia
Pendant des siècles, les illustrateurs s’en donnent à cœur joie, au point qu’on ne sait plus si le Petit Chaperon rouge s’inspire des petites filles, ou si les petites filles imitent le Chaperon rouge. Bambita, parce que tu es née au XXe siècle, tu as porté une salopette Chipie rouge, aux XVIIIe et XIXe siècles, comme le Petit Chaperon rouge, tu aurais sans doute porté une cape rouge et tu aurais été aussi mignonne.
je suis régulièrement ton blog et je suis époustouflée de ces décryptages passionnants que tu nous offres : merci !
RépondreSupprimerMerci Joline !
RépondreSupprimerJ'ai fait un tour sur ton blog, et je suis moi-même impressionnée par la qualité et la créativité de tes réalisations.
Bravo à tes "petites mains" !
Bonjour, merci pour votre décryptage éclairaant. Pouvez vous m'indiquer d'ou est extrait ce poème ou cette chanson de la salopette que vous écrivez en début d'article ?
RépondreSupprimermerci beaucoup et bravo a vous.