3 septembre 2010

La robe à pois de Sandra



"Je ne me souviens pas de cette petite robe d'été, à bretelles, blanche à pois rouges. D'ailleurs, les pois étaient-ils vraiment rouges ? Je l'ai toujours pensé, mais je ne sais pas pourquoi. Peut-être que, finalement, je m'en souviens un peu. Cette petite robe, je la porte sur cette photo de moi, enfant (je devais avoir 4 ou 5 ans), accrochée au mur du salon de mes grands-parents. Elle a toujours été là, aussi loin que je me souvienne. Il y a longtemps, on m'a dit que c'était moi, mais je ne me reconnais pas. Pourtant, il faut bien croire que c'est le cas, puisque tout le monde le dit. Et puis, je me souviens de la couleur des pois, c'est une preuve supplémentaire : la photo est en noir et blanc."

Encore du rouge. Quand je vous dis que c’est la couleur de l’enfance… Sandra trop mimi en robe à pois sur cette photo.

Mais d’où viennent les pois ?

Le semé et le tacheté du Moyen Âge

Au Moyen Âge, l’œil humain est particulièrement sensible aux surfaces. L’uni jugé "pur" est rare, en particulier pour les textiles, les techniques ne permettent pas d’obtenir de grandes pièces lisses, nettes, d’une seule couleur. Restent le rayé - qui peut être un damier, le semé et le tacheté.

Le maître d’école menace sa classe de la férule (c’est la rentrée des classes !)
Gossouin de Metz, Image du monde, XIVe siècle Paris, BnF, département des Manuscrits, Français 574, fol. 27
sur L’Enfance au Moyen Âge, dossier pédagogique BnF

Le semé est une sorte d’uni parsemé de façon régulière de figures diverses : points, trèfles, fleurs de lis, étoiles, etc. ; le tacheté est un semé irrégulier et désordonné. Si la frontière entre le semé et le tacheté n’est visuellement pas toujours facile à établir, ils s’opposent pourtant : le premier a une connotation positive, voire majestueuse ; le second exprime plutôt le désordre et la confusion.

L’essor des techniques d’impression

▲Fragment textile en velours, Italie, fin XIVe-début XVe, Los Angeles County Museum of Art, Los Angeles

Le semé à pois a certainement tenté de nombreux tisseurs depuis des siècles. Mais on imagine qu’avant les techniques d’impression des étoffes – du moins celles destinées à l’habillement, réussir un tissu façonné à pois régulier représente une difficulté d’autant plus ingrate que pour le même travail de tissage, on peut obtenir un motif plus flatteur, comme par exemple un décor floral.

▲à g. : Le déjeuner sur l'herbe, à Chailly (détail), par Claude Monet, 1865-1866
à dr. : Femmes au jardin, à Ville d'Avray (détail), par Claude Monet, 1867
Musée d’Orsay sur Agence photo de la Réunion des musées nationaux RMN 

▲L'impératrice Eugénie en robe à pois, photographie Léopold Ernest Mayer, Société Mayer et Pierson
Musée et château de Compiègne sur Agence photo de la Réunion des musées nationaux RMN

Cela expliquerait que le motif à pois ne connaisse ses premiers vrais succès qu’au moment du grand essor de l’impression textile européenne, dans la première moitié du XIXe siècle. Le terme anglais consacré confirme cette information : l’apparition des pois [en anglais : polka dot] coïncide avec la polkamania qui s’est emparée de l’Europe dans les années 1830-1840, et qui va durer plusieurs décennies – il n’y a aucun autre lien que l’époque entre la danse et le motif.

▲Catalogue d'échantillons textiles de 284 pages comportant des échantillons de coton imprimé alsaciens, regroupés par le fabricant d'indiennes Huet et Benner. entre 1869 et 1872
© Notre-Dame-de-Bondeville, musée industriel de la Corderie Vallois sur Base Joconde

On appelle impression la décoration d’une étoffe – ou tout autre support, avec un motif répétitif. Le but est d’obtenir un dessin plus ou moins grand. On utilise une pâte colorée pour imprimer le tissu. Les historiens ont l’habitude de faire remonter les débuts de l’impression en Inde, au minimum au Ier siècle avant J.C. On importe des cotonnades indiennes en Europe dès la fin du XVe siècle, mais c’est au XVIIe siècle, avec par exemple en France la création de la Compagnie des Indes, que la mode des "indiennes", ces tissus de coton imprimés de motifs exotiques, légers, lavables va révolutionner le textile européen.

▲en ht. : Planche à imprimer en bois à motif palmette de type cachemire en métal incrusté
photographie Musée de l’impression sur Étoffes, Mulhouse
en bas : Tissu imprimé à motif palmette de type cachemire, photographie Écomusée textile du parc de Wesserling

A la fin du XVIIIe siècle, on pratique l’impression à la planche ; on grave les dessins en relief sur une planche en bois, on enduit les dessins de colorant, puis on applique la planche sur le tissu. La technique nécessite autant de passages qu’on a de couleurs. En 1797, la manufacture de Jouy-en-Josas met au point la première machine française à imprimer au rouleau. Au début du XIXe, une version concurrente va contribuer à la réputation des manufactures d’impression textile alsaciennes (qui à travers les grands groupes comme DMC, Schaeffer, Scheurer Lauth,… durera jusqu’au XXe siècle). On dépose la couleur sur des cylindres de cuivre gravés en creux. On passe le tissu à imprimer en continu puis on le fait sécher. Puis viendront l’impression au cadre plat ou sérigraphie, puis l’impression au cadre rotatif

▲Machine à impression sur rouleau, photographie Musée de l’impression sur Étoffes, Mulhouse

Ce serait trop long de vous raconter ici cette histoire, et celle de la "guerre des indiennes" contre l’industrie de la soie de Lyon – qui commence au XVIIe siècle et dure jusque dans les années 1760, et qui aura une répercussion inattendue tragique : le trafic des esclaves venus d’Afrique. Si vous voulez en savoir plus, je vous renvoie aux excellentes fiches pédagogiques réalisées par le service éducatif du Musée de l’impression sur étoffes de Mulhouse sur l’impression à la planche ou l'impression au rouleau, et les indiennes.

Au XVIIIe siècle, les matières colorantes sont naturelles, elles viennent du règne animal – ainsi vous ai-je déjà parlé de la cochenille qui donne le rouge, qu’on va remplacer par la racine de la garance, moins chère, à la base du fameux rouge turc andrinople, selon un secret de fabrication que les Français volent aux Turcs (Lire ici cette passionnante histoire d’espionnage industriel racontée par le magazine Histoire d’Entreprises). Pour le bleu, l’indigo a remplacé depuis le XIIe siècle le pastel. On obtient le jaune grâce à des plantes tinctoriales comme le curcuma, la gaude, le genêt, la sarrette, le safran et le fustet à l’origine du fameux jaune provençal. L’extrait de noix mélangé avec du fer donne le noir. Berthollet découvre en 1791 le blanchiment par le chlore. La chimie des couleurs fait tout au long du XIXe siècle d’impressionnants progrès qui permettent la découverte de nouveaux colorants chimiques comme le rouge solférino, bleu impératrice, brun bismarck, tous les tons crus et durs de rose, jaune, violet, vert... qui vont modifier la perception des couleurs et contribuer à l'image tapageuse du second Empire. Jusqu'alors, les couleurs ne pénétraient pas profondément les étoffes, elles ne résistaient pas aux lessives ni à la lumière, ce qui explique les couleurs fades, délavées, "pisseuses" des vêtements du peuple

▲à g. : Robe de coton rouge imprimé à pois, 1859-1861, Wisconsin Historical Society, Madison
à dr. : Portrait de petite fille sous le second Empire, sur le blog Bijouterie du spectacle

▲à g. : Robe à pois en lainage, 1870, Vintage Textile
à dr. : Portrait de fillette en robe à pois, photographie Charles David Winter, vers 1850
Musée d'art moderne et contemporain, Strasbourg sur Base Joconde

Les pois des années 1950

Minnie Mouse sur Voyage autour du monde

▲à g. : Robe à pois, vers 1950, Cristobal Balenciaga sur Flickr
à dr. : Robe du soir en soie à pois, Cristobal Balenciaga, 1955
The Metropolitan Museum of Art, New York.

Mis en avant à la fois par la célébrissime Minnie Mouse de Walt Disney et par l’élégantissime couturier Cristobal Balenciaga, les pois vont devenir l’imprimé phare des années 50. On les voit partout, sur les robes des mères et des filles, les chemises et les cravates des pères et des fils…

▲à g. : Robe à pois pour la mère et la fille, fin des années 1950
à dr. : Robe fillette à volants, à manches ballon, imprimé pois, vers 1950, photographie Karine Maucotel
catalogue d'exposition La Mode et l'Enfant 1780... 2000, Musée Galliéra

Une chanson leur est en quelque sorte dédiée, elle fait le tour du monde, chantée dans toutes les langues. Elle raconte l’histoire d’une jeune fille timide qui a peur de quitter sa cabine pour aller prendre son bain, car elle tremble de montrer… un deux trois elle tremble de montrer quoi ???

On peut entendre "Itsy Bitsy Teenie Weenie Yellow-Polkadot-Bikini" écrite par Paul Vance et Lee Pockriss, chanté pour la première fois en 1960 par Bryan Hyland sur la page Facebook des Petites Mains ou ici

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Et vive les pin-up !

6 commentaires:

  1. Merci Allison pour ce petit mot.

    Lors de la rédaction de cet article, j'ai bien sûr fait un tour sur 15.16 Vintage for Kids et Kenrucky Rain... à Versailles pour chercher des illustrations de vêtements "vintage" à pois, mais je n'ai rien trouvé.

    Et la dent de Julien elle est enfin sortie ?

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  2. Encore une fois, je suis transportée...à travers le temps, vers la prude Eugénie, et les années 50 où les pois étaient furieusement à la mode. Chez Agnès B. aussi, dans les années 70, la petite robe noire à pois beige, ouverte devant, en fibranne.....Encore une madeleine. J'adoooore !

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  3. Cela m'a beaucoup plu de travailler sur le motif des pois. Sans la petite robe de Sandra, je n'en aurais sans doute pas eu l'idée, pourtant j'adore les pois.

    Marie-Pierre, je tiens à vous dire que votre fidélité enthousiaste me touche beaucoup.

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  4. Bonjour,
    je viens de récupérer dans une valise dans un vieux garage une dizaine de tenues de petites filles des années 50 en très bon état (sauf que j'essaye d'enlever l'odeur de moisi qui les imprègne en les faisant tremper dans de l'eau additionnée de citron, sel et vinaigre blanc)...
    Si l'opération réussit que puis-je en faire d'utile?

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    1. Bonjour,

      Je suis contente de voir que la première idée devant des vêtements anciens, même quotidiens, est qu'ils aient un intérêt. Cela montre que les mentalités ont changé.

      J'ai transmis votre proposition qui intéressera sans doute le musée du Textile choletais - dont la représentante me dit que le traitement que vous leur réservez n'est pas le plus approprié.

      Pouvez-vous m'écrire en privé : popeline.les.petites.mains@gmail.com ? Merci.

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