26 juin 2010

La salopette rouge de Bambita

Je me rappelle ma chouette salopette rouge,
de cette enfant qui pirouette et qui bouge,
c’était le printemps et constamment
je voulais porter ce vêtement !
Elle était rouge comme mon mini vélo,
j’adorais pédaler ma salopette sur le dos.
Elle était large et confortable
je me sentais invulnérable,
je mettais les mains dans les poches
je n’avais plus les pétoches.
Je me prenais pour Fifi Brindacier,
je passais chez le pâtissier
acheter des boules de gommes,
j’étais haute comme trois pommes !
C’était ma salopette « Chipie »
je faisais le ouistiti !
Avec ma belle bicyclette
et ma chouette salopette,
j’oubliais d’avoir les chocottes,
j’étais une vraie tête de linotte !

Mais j’ai grandi et maintenant
je hais le rouge intensément...


Jolie et tendre évocation de l’enfance que Bambita brunette fillette qui pirouette et qui bouge dans sa chouette salopette rouge ! Couleur des ballons, bonbons et confitures, le rouge joyeux et ludique traduit bien le sentiment d’enfance.

▲à g. : Publicité confitures Bonne Maman, parution presse écrite, 2009
à dr. : Enfant à la sucette, queen'slace sur Flickr, 2006

▲à g. : Le ballon rouge, film de Albert Lamorisse,
avec Pascal Lamorisse, Renaud et David Séchan, Gébéka Films
à dr. : Bottes en vinyle rouge dites Wellington en Grande-Bretagne,
(le modèle dont elles s’inspirent fut popularisé par Arthur Wellesley, premier duc de Wellington)
fabrication Dunlop, Manchester City Galleries, 1977-1978

Longtemps, parler de rouge et de couleur a été la même chose, le rouge est la première, la plus belle des couleurs. Dans certaines langues, le même mot exprime le rouge et le coloré - coloratus en latin, colorado en espagnol ; en russe, krasnoï signifie à la fois rouge et beau.

Dans Le petit livre des couleurs, l’historien Michel Pastoureau écrit à propos du rouge et de son succès dans l’histoire de l’Europe occidentale : « Cette couleur va s’imposer parce qu’elle renvoie à deux éléments, omniprésents dans toute son histoire : le feu et le sang. On peut les considérer, soit positivement soit négativement, ce qui nous donne quatre pôles autour desquels le christianisme primitif a formalisé une symbolique si forte qu’elle perdure aujourd’hui. Le rouge feu, c’est la vie, l’Esprit saint de la Pentecôte, les langues de feu régénératrices qui descendent sur les apôtres ; mais c’est aussi la mort, l’enfer, les flammes de Satan qui consument et anéantissent. Le rouge sang, c’est celui versé par le Christ, la force du sauveur qui purifie et sanctifie ; mais c’est aussi la chair souillée, les crimes (de sang), le péché et les impuretés des tabous bibliques ».

La symbolique du rouge est associée à celle du sang et à celle du feu, il y a donc par là un bon et un mauvais rouge comme il y a un bon et un mauvais sang, un bon et un mauvais feu. Tous les usages du rouge de nos archétypes sociaux et de notre vie quotidienne s’appuient sur cette symbolique des quatre rouges. Je me concentre ici particulièrement sur ce qui concerne l’enfant, mais pour en savoir plus, je vous invite à lire les livres passionnants de Michel Pastoureau, ainsi que l’entretien publié sur le site de la BNF à l’occasion de l’exposition « Rouge » de Christian Lacroix en 2005-2006.

Rouge, couleur de l’enfance

Ainsi au Moyen Âge le rouge est déjà la couleur de l'enfance, chaque personne en porte pour rappeler qu'il fut un enfant : « Veoir couleur vermeille enforest corage d’ome – voir la couleur vermeille renforce le courage de l’homme » écrit au XIIIe siècle Raymond Lulle, philosophe apologiste chrétien, auteur de traités sur l’enfance. Cette couleur de pouvoir est censée protéger les enfants des maladies ou accidents, des saignements de nez ou de la rougeole. Dans les classes aisées, on lie les langes des nourrissons de bandelettes rouges, couleur de sang, pour leur donner la force de rester en bonne santé et de repousser la mort – selon la spécialiste de l’enfance au Moyen Âge, Danièle Alexandre-Bidon, un enfant sur trois meurt avant d’avoir atteint l’âge de cinq ans. Le rouge, couleur diabolique, chasse aussi les mauvais esprits et les démons – on connaît la croyance en l’« enfant changelin » substitué par le Diable à l’insu des parents.

Les sept âges de la vie (détail) dans Le Livre des propriétés des choses de Barthélémy l’Anglais, traduction française par Jean Corbechon, illustré par le Maître de Boucicaut, Paris vers 1410, BNF

Couleur du luxe héritée de la pourpre impériale antique, le rouge est aussi au Moyen Âge et à la Renaissance la couleur la plus noble – j’y reviendrai dans un prochain article. S’habiller de rouge est réservé à l’aristocratie et fait l’objet de lois somptuaires. On ne s’étonne donc pas de voir les petits princes habillés de rouge.

▲à g. : Portrait de Jean de Médicis bébé, fils du grand-duc de Toscane Cosme Ie et d'Éléonore de Tolède, par Allori Angelo di Cosimo, dit Bronzino, vers 1544-1545, sur Wikipedia
à dr. : Le prince Federico d'Urbino dans son berceau, par Federico Barocci, 1605, Galerie Palatine, Florence sur Wikimedia Commons

Le petit chaperon rouge

Est-il possible de parler de rouge et d’enfance sans évoquer le fameux Petit Chaperon rouge du conte ? Un jour ou l’autre, vous avez ouvert votre dictionnaire pour enfin savoir ce que sont la chevillette et la bobinette, vous avez aussi par la même occasion découvert que le chaperon est « une coiffure à bourrelet prolongée d’une sorte de queue », en fait, au XVIIe siècle une simple bande de tissu que des bourgeoises attachent à leur tête. Beaucoup d’illustrateurs en font une pèlerine avec capuchon, plus seyante, plus moderne aussi.

Le petit chaperon rouge, par François Richard Fleury, vers 1820,
Musée du Louvre sur Agence photographique de la RMN

On trouve la trace de l’histoire du Petit Chaperon rouge très haut dans la tradition orale du Moyen Âge européen, sous différentes versions, par exemple, vers l’an mille, dans la région de Liège, sous le titre La Petite Robe rouge. Il est fixé et retranscrit par le biais des versions de Charles Perrault dans Les Contes de ma Mère l’Oye en 1697.en France, puis des frères Grimm dans les Contes des Enfants et du Foyer en 1812 en Allemagne, avec de multiples variantes diffusées par la littérature de colportage, on peut en lire sur le mini-site Contes de fées de la BNF.

À l’époque de Charles Perrault, le chaperon est une coiffure féminine déjà démodée. Ce n’est pas étonnant, le costume des enfants de l’Ancien Régime, s’il copie la mode des adultes, se caractérise aussi par ses détails archaïques et ses emprunts aux modes populaires. Mais pourquoi rouge ?

Les hypothèses sont multiples. Si on en fait une interprétation symbolique basique, le rouge représenterait le sang qui coule, le meurtre de la grand-mère, et même du Chaperon rouge dans certaines versions ; c’est un peu sommaire. D’après Bruno Bettelheim, auteur de la Psychanalyse des contes de fées, le Petit Chaperon rouge symbolise le passage de la fillette à la puberté, le cycle menstruel, l’envie de « voir le Loup ». Cela ne convainc guère les historiens, d’une part parce l’analyse de Bettelheim est basée sur le conte de Perrault trop souvent modifié, qui omet des détails importants de l’évolution du conte. D’autre part, on ne peut pas affirmer que le rouge a une connotation sexuelle dans la symbolique médiévale des couleurs.

Le Petit Chaperon rouge, par Gustave Doré, 1867,
sur Wikipedia

Comme déjà dit plus haut, vêtir les jeunes enfants de rouge est une pratique courante au Moyen Âge, même en milieu paysan, le rouge protège les enfants de toutes sortes de maux – ou alors est-ce juste plus facile de les repérer pour les surveiller. Peut-être aussi le Petit Chaperon rouge a-t-elle mis sa plus belle tenue pour rendre visite à sa grand-mère, c’est-à-dire – c’est un pléonasme pour le vêtement féminin de l’époque, un vêtement rouge. Ou encore, il est vraisemblable que l’enfant, née le jour de la Pentecôte (détail présent dans la plus ancienne version du conte), se trouve consacrée à la couleur rouge de l’Esprit saint.

▲à g. : Cape enfant, 1890, The Metropolitan Museum of Art
à dr. : Jannis & Fanny Meson en capes à capuchons, ph. Warwick Brookes, 1892,
Cathedral Steps, Manchester sur Flickr Pool Vintage Kids

Michel Pastoureau avance une dernière hypothèse d’ordre sémiologique particulièrement intéressante et séduisante pour l’esprit, basée sur la structure du conte et son partage en trois couleurs : la fillette porte un vêtement rouge et un petit pot de beurre blanc à sa grand-mère vêtue de noir – le loup aussi est noir, qui remplace la grand-mère. Nous aurions là les trois couleurs blanc-rouge-noir, noyau typique de tous les contes et toutes les fables des cultures anciennes : on les retrouve par exemple dans la fable Le corbeau et le renard (un fromage blanc passe du corbeau noir au renard rouge) ou le conte Blanche-Neige (une sorcière vêtue de noir remet une pomme rouge empoisonnée à une princesse au teint très blanc)…

▲à g. : Le Petit Chaperon rouge, par John Everett Millais, 1881,
Joslyn Art Museum, Nebraska
à dr. : Cape rouge, 1898–1899, The Metropolitan Museum of Art

▲à g. : Premier sermon, par John Everett Millais, 1862-1863, Guildhall Art Gallery, Londres
à dr. : Second sermon, par John Everett Millais, 1864, Victoria & Albert Museum, Londres
sur Wikipedia

Pendant des siècles, les illustrateurs s’en donnent à cœur joie, au point qu’on ne sait plus si le Petit Chaperon rouge s’inspire des petites filles, ou si les petites filles imitent le Chaperon rouge. Bambita, parce que tu es née au XXe siècle, tu as porté une salopette Chipie rouge, aux XVIIIe et XIXe siècles, comme le Petit Chaperon rouge, tu aurais sans doute porté une cape rouge et tu aurais été aussi mignonne.


17 juin 2010

Le petit pull jaune de Nadia



J’attends sur ce quai de gare. Que c’est long !
« Maman, quand est-ce qu’il arrive Papa ? » « Bientôt, sois patiente… »
Patiente ? Cela fait si longtemps que tu es parti…
Quand vas-tu enfin descendre de ce train pour me serrer dans tes bras ?
Te voilà ! Tu es si beau, mon Papa, dans ta superbe cape rouge des Spahis d’Algérie.
Tu ouvres tes bras, je m’y jette avec toute l’énergie de mes 5 ans, puis tu déposes dans mes mains un paquet tout mou enveloppé de papier de soie qui bruisse…
« Ouvre, c’est un cadeau d’Algérie que j’ai ramené spécialement pour toi… »
J’ouvre le paquet et là, tout d’abord, je ne vois que la couleur jaune poussin du vêtement puis je sens la douceur des longs poils angora que je caresse comme la fourrure de mon chat, le soir à la veillée. Papa m’aide à enfiler ce magnifique gilet, doux, moelleux, comme les bras de mon papa qui me serre fort contre lui, en m’appelant sa princesse.
« Pourquoi il a des poils aussi longs, le gilet ? » Papa m’explique que cette laine très particulière vient d’une chèvre angora.
Je me souviens lui avoir dit : « Quand tu repartiras en Algérie, dis merci à la chèvre qui a tricoté le gilet pour moi, elle est gentille. »
J’ai bien sûr grandi, le gilet angora est devenu trop court, mais je l’ai conservé très longtemps dans son papier de soie, bien à l’abri, avant d’en habiller mes poupées… pour ne pas le quitter tout à fait.

▲à g. : Laine “Fine Kid” catalogue Anny Blatt
à dr. : Petit boléro mohair pour fillette, années 1950, sur Vogue Vintage Knits by Etsy

Cette jolie évocation du pull jaune poussin de Nadia me donne l’occasion de clarifier une confusion que l’on fait très souvent entre « angora » et « mohair ». Tous deux ont pour origine des poils d’animaux, il y a aussi le cachemire, le poil de chameau et l’alpaga.

Les poils d’angora sont issus d’une variété particulière de lapin, le Rex d’Asie mineure, dont le poil très long (de 5 à 15 centimètres) est gris clair, blanc ou roux. Les lapins sont épilés, soit au peigne pour les qualités les meilleures, soit au rasoir. Leurs poils sont utilisés pour les laines à tricoter et les tissus imitation fourrure, ou en mélange avec d’autres matières.

Le mohair est un mot dérivé de l’arabe mukhayyar qui signifie «celle qui est choisie, la plus belle». Sa fibre ne vient pas d’un lapin, mais du poil de la chèvre angora – celle qui justement a tricoté le pull de Nadia. Cette chèvre est originaire d’une région turque du plateau d’Anatolie, Angora (aujourd’hui Ankara) qui lui a donné son nom. En Afrique du Sud et aux Etats-Unis, qui sont les deux premiers producteurs de mohair, elle est issue de croisements entre des chèvres d’Angora offertes en cadeau et des bêtes locales.

La chèvre angora est tondue très soigneusement deux fois par an, au printemps et en automne, elle produit de 5 à 8 kilos de fibre brute par an. On fait de ces poils longs et chauds des tissus extrêmement fins et légers, doux et soyeux, naturellement élastiques et isolants, d’un brillant naturel. Le mohair a aussi la particularité de bien prendre la teinture. Une merveille de la nature, donc, qu’on utilise pur ou en mélange avec d’autres laines, pour réaliser des pulls en maille ou des vêtements de l’industrie du luxe.

On sait qu’au XVe siècle, Jacques Coeur, argentier du roi Charles VII, fait venir en France un troupeau de ces « caprins à poil long, ondulé, doux et propre à la teinture », qui finiront dans la marmite lors d'une famine, mais on ne commence à importer des fils et des vêtements turcs en France qu'au XVIe siècle. On trouve trace de la transformation du mohair brut sous le règne de François Ier. Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle que l’industrie du mohair se développe en France et en Angleterre, dépassée aujourd'hui par la production sud-africaine ou américaine (principalement au Texas).

▲Chèvre angora, Wikipedia

Ta petite chèvre tricoteuse est bien une chèvre angora, Nadia, elle devait être aussi mignonne que celle-ci, mais ton pull jaune poussin est en mohair. Si tu avais été plus petite, ton papa Spahi aurait pu t’apporter aussi un autre vêtement local, le burnous, dont l’exotisme a fait fureur en France sous le second Empire au moment de la conquête d’Algérie, qui fera une carrière d’une exceptionnelle longévité en article de layette jusque dans les années 1950-1960.