13 mai 2014

Mon beau miroir (1) – Journal des Demoiselles vs Sierra Julian



▲Chronologie de l'histoire de la mode, silhouettes, Kyoto Costume Institute

Dans Portraits-Souvenir, un recueil d'articles écrits en 1935 pour Le Figaro, Jean Cocteau, ami proche des créatrices de mode Gabrielle Chanel et de Elsa Schiaparelli - qui se détestent - écrit :

« Il faudrait filmer [...] les époques lentes et les modes qui se succèdent. Alors ce serait vraiment saisissant, de voir, à toute vitesse, les robes s'allonger, se raccourcir et se rallonger, les manches se gonfler, se dégonfler, se regonfler, les chapeaux s'enfoncer et se retrousser, et se jucher, et s'aplatir, et s'empanacher, et se désempanacher, les poitrines grossir et maigrir, provoquer et avoir honte, les tailles changer de place entre les seins et les genoux, la houle des hanches et des croupes, les ventres qui avancent et qui reculent, les dessous qui collent et qui écument, les linges qui disparaissent et réapparaissent, les joues qui se creusent et qui s'enflent, et pâlissent, et rougissent, et repâlissent, les cheveux qui s'allongent, qui disparaissent, qui repoussent, qui frisent, se tirent et moussent, et bouffent, et se dressent, et se tordent, et se détordent, et se hérissent de peignes et d'épingles, et les abandonnent, et les réadoptent, les souliers qui cachent les orteils ou les dénudent, les soutaches qui se nouent sur les laines piquantes, et la soie vaincre la laine, et la laine vaincre la soie, et le tulle flotter, et le velours peser, et les paillettes étinceler, et les satins se casser, et les fourrures glisser sur les robes et autour des cous et montant, et descendant, et bordant, et s'enroulant avec la nervosité folle des bêtes qu'on en dépouille.  On verrait alors les accessoires frivoles de cette période où grandissait notre jeunesse, vivre d'une vie intense, ne jamais se fixer dans une posture malseyante et nous donner le spectacle grouillant et superbe d'une véritable tête de Méduse [...] ».

Ainsi, le mythe de la mode « qui se démode » et qui serait un éternel retour, à reprendre sans cesse les mêmes formes, les mêmes détails, établirait une sorte de permanence à travers les périodes et les siècles ? Certes, la mode qui, par définition est changement, fait que la contrainte chasse la légèreté, le court le long, le large l'ajusté, le rose le vert – pour faire simple... Pour autant, la mode vestimentaire n'est jamais la reproduction à l'identique d'une mode antérieure, même si certains clins d'oeil ou historicismes s'y réfèrent nettement.

Et si ce concept de l'éternel retour de la mode n'était-il pas plutôt celui de « l'éternel retour du même » décrit par Nietzsche dans Le Gai Savoir ? Au-delà de cette idée de cycle immuable de reproduction plus ou moins semblable, la mode serait la métaphore de la vie vécue et revécue avec une telle intensité qu'on puisse souhaiter que chaque instant, immortalisé par les défilés des podiums, se produise éternellement... La mode, par ses références historicistes, fait cycliquement revivre le passé, tout en étant perpétuellement nouvelle et inédite. Loin d'être une déliquescence ou un défaut de créativité, l'éternel retour de la mode qui sans cesse renaît et revit est le signe même de sa vitalité.

« Miroir, miroir en bois d'ébène, dis-moi, dis-moi que je suis la plus belle » demande la Reine du conte qui veut vivre une éternelle jeunesse.

J'inaugure ici une nouvelle rubrique et vous invite à regarder dans le miroir de l'éternelle enfance pour y chercher des échos entre mode enfant d'hier et d'aujourd'hui. Et si le cœur vous en dit, prêtez-vous au jeu, envoyez-moi vos images et suggestions...


▲à g. : Journal des Demoiselles, 1er septembre 1881 (détail), collection particulière
à dr. : Robe pour petite fille, Sierra Julian, printemps 2014 sur smudgetikka

À partir de 1869, la crinoline née sous le Second Empire décline, l'étoffe juponne vers l'arrière de la jupe pour devenir la tournure. Une armature intérieure ou un coussinet soutient toute l'ampleur et accentue la cambrure des reins. Des années 1870 à la fin des années 1880, la mode des petites filles suit celle des femmes. Elles portent aussi la tournure, mais leurs jupes s'arrêtent sous le genou, le buste ajusté s'allonge. Dans les années 1880 et 1890, l'effet tournure perdure sous la forme d'un nœud volumineux arrangé sur les fesses.

Le gros nœud noué à l'arrière de la robe ou de la jupe reste pour longtemps un signe de féminité. Dans ce modèle de Sierra Julian pour l'été 2014, cela est encore accentué par l'effet dos nu.


4 commentaires:

  1. Ces derniers hivers j'étais amusée par le retour des châles qui ressemblent à ceux des années 30 ou des années 70. J'essaierai de trouver des photos...

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    1. Ah les châles ! C'est un sujet qui enflamme régulièrement la mode depuis le XVIIIe siècle, en particulier ceux en cachemire bien sûr.
      Merci de votre fidélité, Marie-Françoise, je n'oublie pas que vous êtes une des premières lectrices des Petites Mains.

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  2. Merci beaucoup !...
    J'adore vos articles.

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