20 avril 2012

Mode enfantine et luxe (2) – Qu’est-ce que le luxe ?


Selon le Robert, le luxe est un « mode de vie caractérisé par de grandes dépenses consacrées à l'acquisition de biens superflus, par goût de l'ostentation et du plus grand bien-être. » Définir le luxe s'avère de fait bien plus complexe.

Savoir-faire unique et rareté des produits

« Le luxe, ce n'est pas le contraire de la pauvreté mais celui de la vulgarité » dit Coco Chanel. Ce mot, souvent cité lorsqu'on tente de définir le luxe le résume en effet assez bien, si on retient du mot « vulgarité » la définition de « caractère commun ».

▲Portrait de Louis XV enfant, en 1717 (détail), par Augustin Justinat

▲à g. : Portrait de Louis de France, dauphin, fils de Louis XV, à un an, par Alexis Simon Belle, 1730
Châteaux de Versailles et de Trianon, sur Agence photographique de la RMN
à dr. : Robe en soie brodée de fils de soie, d'or et d'argent pour enfant, Allemagne ou Italie
fin XVIIe-début XVIIIe siècle, Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg

À l'origine, le luxe se distingue par un savoir-faire artisanal unique, pour répondre aux exigences d'un client fortuné ; c'est généralement un aristocrate, qui exige un objet ou un vêtement d'exception, à son image. À cette rareté du savoir-faire peut s'ajouter une rareté de la matière première.

À l'heure de la mondialisation qui augmente le nombre des clients potentiels venant des pays émergents, les maisons de luxe continuent de cultiver cette rareté, en entretenant la pénurie, en proposant des séries limitées. Elles veulent échapper à la consommation courante et positionnent leurs produits comme des œuvres d'art quasi intemporelles. Le luxe entretient des relations étroites avec l'art.

▲Modèles de la collection Baby Dior, hiver 2011-2012 sur Baby Dior

Certes la relation avec une clientèle fortunée demeure, mais paradoxalement, les maisons de luxe personnalisent de moins en moins leurs produits, voire plus du tout, alors que des marques plus populaires s'y risquent parfois.

Toutes ces raisons ont pour effet une caractéristique déterminante du luxe : le prix élevé des articles.

▲Vitrine Bonpoint, 6 rue de Tournon, Paris, octobre 2010
Bonpoint a été coopté par le Comité Colbert en novembre 2011.

▲Vitrine Hermès, 24 faubourg Saint-Honoré, mars 2012
Ces deux photos sont empruntées au blog Le Journal des vitrines
Stéphanie Moisan vous y invite à une tournée des plus belles vitrines de Paris depuis votre fauteuil !

Le secteur du luxe est aujourd'hui fortement mondialisé. La France y est bien positionnée, son image facilement associée à l'image prestigieuse du luxe. Le Comité Colbert qui rassemble 75 maisons de luxe, concerne dix secteurs d'activité de l'art de vivre français : les nouvelles technologies, certaines denrées alimentaires, les vins et spiritueux, l'art de la table, la restauration et l'hôtellerie haut de gamme, la joaillerie, l'horlogerie, les parfums et cosmétiques, et bien sûr la mode à laquelle je me limiterai ici.

De la maison de couturier à la marque internationale

La réputation des articles de Paris, des tissus exclusifs, du savoir-faire des vêtements confectionnés s'est confirmée entre la fin du premier Empire et la chute du second Empire, qui a vu la naissance de la haute couture avec Charles-Frederick Worth. Au cours du siècle suivant, le secteur de la mode va connaître de profonds bouleversements. D'un monde quasi artisanal, au savoir-faire remarquable, on passe progressivement à une grande production destinée à un marché de plus en plus ouvert, à la fois mondialisé et démocratisé.

▲à g. : Portrait de Charles-Frederick Worth sur Wikipédia
Portrait de Tom Ford, sur Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent

Des directeurs artistiques, hommes de marketing et de communication – dont Tom Ford est l'archétype, qui ressuscite Gucci dans les années 1990 – ont peu à peu remplacé les couturiers passionnés par leur métier. D'une logique d'offre, on est passé à une logique de demande. Il s'agit pour le styliste de comprendre les attentes et les besoins du marché et de les interpréter via de nouveaux produits marketing conformes à l'esprit et à l'image de la maison, dans le respect de ses traditions et de ses valeurs.

Gérer le paradoxe entre rareté et démocratisation de l'offre

La renommée des maisons de luxe se fonde sur le génie de leur créateur visionnaire, leur authenticité et leur longue histoire, qu'elles imposent de façon autoritaire, à travers un savoir-faire artisanal et une créativité toujours renouvelée, ancrée dans la modernité.

▲Petit cheval, chef d'oeuvre de sellier-harnacheur, présenté à l'Exposition universelle de Lyon en 1894
collection Émile Hermès (capture d'écran)
Écouter et voir ici la vidéo sur le site Internet de la maison Hermès

Mais dans le marché d'aujourd'hui, mondialisé et démocratisé, les noms des marques supplantent ceux des maisons de couturiers. En contrôlant le secteur, le marketing et la publicité organisent un amalgame factice entre haut de gamme arrangé et luxe véritable. Les stratégies qui marchent utilisent le statut d'icône des maisons et des marques tout en s'ouvrant à de nouveaux consommateurs.

▲Publicité Burberry Enfants, 2007
Voir sur le site Burberry l' « héritage » de la marque établie depuis 1856

Le luxe s'accorde mal à la démocratisation de l'offre. Face à la concurrence et au défi créatif des marques de mode, qui ciblent la même clientèle et mettent elles aussi en avant le savoir-faire traditionnel, les marques de luxe ont trouvé le subterfuge de la vente de parfums, puis d'accessoires, et maintenant de vêtements pour enfants. Cela leur permet de gérer l'ambivalence entre la rareté de leur offre et le développement et la démocratisation des produits.

Entre racines et innovation, histoire et modernité, luxe de masse et sur-mesure, raffinement et ostentation, la définition du luxe, brouillée par le marketing de marque, est loin d'être simple.

(à suivre : Mode enfantine et luxe (3) - Le luxe est-t-il moral ?)

4 commentaires:

  1. Ah, enfin votre retour. Depuis le début de l'année, je guettais un nouvel article, venant de temps en temps faire un petit tour par ici ....Quel plaisir de vous lire à nouveau ! Et puis, aussi, plein de bonnes idées d'expositions à visiter. Je suis bien contente !

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  2. Merci de votre indéfectible fidélité, depuis les débuts du blog.

    Promis, j'essaie de publier régulièrement. J'ai plein d'idées.

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  3. Très bon article, très intéressant. C'est un réel plaisir que d'apprendre tout ceci ; c'est très instructif.
    N'hésitez pas à venir visiter mon blog http://foulards.comtesse-sofia.fr/

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  4. Merci, Alexandra, de faire ainsi part de votre plaisir à découvrir Les Petites Mains.
    J'ai en effet fait un tour sur votre site, les foulards que vous proposez sont superbes !
    Ce serait sympa de réfléchir à un petit projet d'écriture à développer en commun, par exemple autour de Sophie de la comtesse de Ségur qui vous inspire, si ça vous dit bien sûr...

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