15 février 2010

La fraise (5) – la fraise du XIXe siècle



La « naissance de l'histoire » et les prémices de la mode historiciste

Gabrielle d'Estrées évanouie en présence d'Henri IV et de Sully,
par François André Vincent, vers 1783-1787,
Musée de Fontainebleau, reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

Au XVIIIe siècle, même si l'état d'esprit change, qu'il se veut moins mythique, plus scientifique, on a du mal à penser le passé, le sentiment d'histoire reste peu clair. Cependant, à partir de 1774, le comte d’Angiviller, directeur général des Bâtiments royaux, s'efforce de renouveler la peinture d'histoire pour « ranimer la vertu et le sentiment patriotique des Français ». On est pourtant encore à vingt-cinq ans de la Révolution française…

▲Don Pedro de Tolède baisant l'épée d'Henri IV,
par Jean Auguste Dominique Ingres, 1832,
Musée du Louvre, reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

C'est à cette époque que Henri IV – le « bon roi Henry » et le célèbrissime épisode de « la poule au pot » – devient un sujet à la mode ; il le restera fort longtemps. Déjà, en 1728, Voltaire a fait paraître son épopée La Henriade, qui fera l’objet de nombreuses réimpressions. Tous les peintres, de Roslin à Ingres vont s'emparer de ce thème historique fondamental. On se documente, on fait des recherches. Par exemple, la curiosité de Fragonard pour l'époque ancienne est quasi encyclopédique. Ainsi la société lettrée du XVIIIe siècle se familiarise-t-elle avec les personnages habillés à la mode de 1600-1610, elle se fait portraiturer « à la mode ancienne » ou « à l'espagnole ».

▲à g. : Portrait de Marie Madeleine Guimard, par Jean Honoré Fragonard, 1769,
Musée du Louvre sur Wikipédia
à dr. : Portrait d’Anne François d’Harcourt, duc de Beuvron, par Jean Honoré Fragonard, vers 1770,
Musée du Louvre, reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

▲Portrait équestre de Henri IV, par Jean Baptiste Mauzaisse, 1821,
Musée national du Château de Pau, reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

▲à g. : Portrait équestre de Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie (détail),
par le baron Antoine Jean Gros, 1808,
Musée du Château de Versailles, reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux
à dr. : Napoléon Ier sur le trône impérial en costume de sacre (détail),
par Jean Auguste Dominique Ingres, 1804-1806,
Musée de l’Armée, reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

Au début du XIXe siècle, l'histoire est considérée comme une discipline intellectuelle à part entière, les historiens se professionnalisent, on fonde en 1808, les Archives nationales, et en 1821 l'Ecole Nationale des Chartes, première grande institution pour l'enseignement de l'histoire. Par ailleurs, on se passionne en France pour la peinture hollandaise (même si Vermeer n'est pas encore connu), on redécouvre Rubens. En Angleterre, la situation est comparable, mais c'est la peinture de Van Dyck qui fournit des modèles à la société anglaise. On s'habille pour se faire peindre. A travers les beaux-arts, les ouvrages publiés et leurs gravures, on s'habitue à voir des gens vêtus en costumes historiques.

▲Jeune femme en robe blanche, par James Northcote, 1795,
Victoria & Albert Museum , Londres

Toutes ces tendances se combinent et se développent sur fond de néoclassicisme qui s'inspire de l'Antiquité (à la mode depuis la découverte des sites d’Herculanum et de Pompéï en 1738 et 1748) que la rupture de la Révolution française va accentuer. J'ai déjà eu l'occasion de vous raconter comment la robe blanche est apparue dans la mode à la fin du XVIIIe siècle, et a poursuivi son évolution vers le style antique après la Révolution [Lire : La robe blanche]

Le renouveau de la fraise sous le Consulat et l’Empire

C'est dans ce contexte historiciste – on appelle « historicisme » ce qui qualifie des mouvements qui se ressourcent dans les styles du passé – que réapparaît la fraise, certes plus souple qu'aux XVIe et XVIIe siècles. Elle va à nouveau connaître un grand succès, sa mode va durer plus de trente ans.

▲Portrait de jeune femme, par Elisabeth Louise Vigée Lebrun, vers 1797,
Museum of Fine Arts, Boston sur Web Gallery of Art

▲Portrait de Mademoiselle Récamier, par Antoine Jean baron Gros, vers 1795,
Galeria Zagreb sur Web Gallery of Art

À la fin du Consulat (1799-1804), la robe, toujours à taille haute, se raidit, on utilise des tissus plus lourds comme le satin et le velours, la coupe et l'ornementation deviennent plus complexes. Après 1808, les corsages sont montants, une petite fraise entoure le cou. Cette mode va prendre un essor considérable sous l’Empire (1804-1815).

▲à g. : Portrait d’inconnue, Ecole française, vers 1805,
Musée Condé, Chantilly, reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux
à dr. : collerette fraise en coton, Angleterre, vers 1807,
The Metropolitan Museum of Art , New York

▲à g. : Fichu de soie à collerette, planche des Costumes Parisiens, 1811.
Noter : la manche rappelle aussi les détails de la mode Renaissance
à dr. : Portrait d’Isaline Fé, par Firmin Massot, Musée d’Art et d’Histoire, Genève

▲à g. : Col fraise sur robe blanche, planche des Costumes Parisiens, 1811,
Châteaux et Musées de Malmaison et Bois-Préau
à dr. : Portrait présumé de Hannah More, femme de lettres anglaise, début XIXe siècle,
Musée du Louvre, reproductions RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

▲Portrait de la comtesse de Tournon, née Geneviève de Seytres Caumont,
par Jean Auguste Dominique Ingres, 1812,
Philadelphia Museum of Art sur The Metropolitan Museum of Art., New York
Malgré ses soixante ans, la comtesse est une vraie « fashionista »,
elle porte la fraise et le châle en cachemire, les deux « must have » de l'époque.

▲ à g. : Guimpe, vers 1800, The Metropolitan Museum of Art , New York
à dr. : Portrait de Madame de Senonnes, par Jean Auguste Dominique Ingres, 1814,
Musée des Beaux-Arts de Nantes, reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

▲ à g. : Guimpe de l’impératrice Joséphine, vers 1800,
Châteaux et Musées de Malmaison et Bois-Préau, reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux
à dr. : Portrait de Madame Philippe Lenoir, par Horace Vernet, 1814,
Musée du Louvre

▲ à g. : Portrait de Mademoiselle Jeanne Hayard, par Jean Auguste Dominique Ingres, 1815,
collection privée sur Art Renewal Center Museum
à dr. : Portrait de Lina, fille de l’artiste, par Friedrich Carl Gröger, 1802,
Hamburger Kusthalle, Hambourg sur Wikipedia

Le canezou à col fraise se porte sur ou sous le corsage ou la robe.

▲ à g. : Fichu et fraise, planche de La Belle Assemblée, 1817
sur Candice Hern’s Regency World
à dr. : Les trois dames de Gand (en réalité de Vichte), portraits d'Isabelle Rose van Tieghem,
femme d'Anselme Morel de Tangry, échevin de Courtrai, et de deux de ses filles,
Ecole française (autrefois attribué à Jacques Louis David), 1818,
Musée du Louvre, reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

La mode néogothique reconduit la fraise

Du point de vue de l’histoire du costume, il n’y a pas de rupture entre l’Empire et la Restauration. Les robes à taille haute continuent de s’alourdir en tissu et en ornementation. Plus que jamais, on se réfère à la tradition, la popularité de Henri IV ne faiblit pas, dont la famille royale revendique sa légitimité.

▲à g. : Portrait de Charles Ferdinand d’Artois, duc de Berry,
représenté en costume de prince François devant un buste d'Henri IV,
par le baron François Pascal Simon Gérard, 1819,
Musée des châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles
à dr. : Scène de la naissance du duc de Bordeaux (petit-fils de Charles X),
dans la tradition de celle d'Henri IV, par Frédéric Lignon (graveur)
d’après Alexandre Evariste Fragonard (peintre), 1820,
reproductions RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

Par ailleurs, dès 1810, on remarque en Angleterre une influence de la littérature romantique qui met en vogue le Moyen Âge et la Renaissance (on ne fait alors pas de différence entre les deux périodes), comme les romans de Walter Scott. Ce mouvement qualifié de néogothique, ou encore de style troubadour, mettra quelques années pour arriver en France – vers 1830, les romans et les pièces de théâtre de Victor Hugo seront la source d'inspiration de nombreux artistes.

▲à g. : Mort d'Elisabeth, reine d'Angleterre, par Paul Delaroche, vers 1830,
Musée du Louvre, reproduction RMN, statut : domaine public
surAgence photographique de la Réunion des musées nationaux
à dr. : Portrait d'Amélie de Leuchtenberg, par Karl Josef Stieler, vers 1830,
Châteaux et Musées de Malmaison et Bois-Préau sur Base Joconde

▲à g. : Marie Stuart, reine de France et d'Ecosse, représentée couronnée,
portant le chaperon et le voile blanc du deuil, par Joseph Albrier, 1835,
Musée des châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles, reproduction RMN,
statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux
à dr. : La duchesse du Berry au château de Blaye, peintre anonyme, vers 1832-1833,
collection Janvrot, Musée des Arts décoratifs

Dans les milieux légitimistes, après l’assassinat du duc de Berry (fils de Charles X et père du duc de Bordeaux, « enfant du miracle » né à titre posthume), et même encore après l'avènement de Louis-Philippe, on insiste sur le lien entre la duchesse Caroline de Berry et Marie Stuart. Plus jeune, plus charmante, plus joyeuse que sa belle-sœur la duchesse d'Angoulême (malheureuse fille de Louis XVI), la duchesse de Berry, très sensible à la mode, qui a lancé par exemple la vogue des bains de mer, est très populaire – aujourd'hui elle ferait la une de tous les magazines « people ». Les plus belles fêtes de la Restauration sont celles organisées par la duchesse.

Les derniers moments du duc de Berry dans la salle de l'ancien opéra, (détail),
par Alexandre Menjaud, 1824, Musée des châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles,
reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

Ainsi le 2 mars 1829, la duchesse organise aux Tuileries un bal costumé très brillant qui recrée la présentation de l’épouse de François II à la Cour de France en 1558, chaque participant contemporain incarnant un personnage historique. On a exhumé pour l'occasion des documents conservés à la Bibliothèque royale (ex-nationale). On s'en inspire, on mélange les genres, ce qui est typique du style troubadour : collerettes à la Médicis, manches énormes, fraises… On parle de Marie Stuart, on publie des dessins originaux qu'on décore d'entrelacs et d'écus « comme au Moyen Âge ». Tous les épisodes de la soirée sont tracés sur aquarelle par le peintre Eugène Lami pour réaliser un album de vingt-huit lithographies distribuées aux invités, abondamment reproduites dans la presse. Cet événement mondain, qu'on appelle « le quadrille de Marie Stuart », a un énorme retentissement public.

▲à g. : Le quadrille de Marie Stuart, par Achille Dévéria
à dr. : Parure de la duchesse de Berry, évoquant le quadrille de Marie Stuart,
d'après les aquarelle de Eugène Lami, vers 1829-1830, collection Janvrot,
Musée des Arts décoratifs, Bordeaux

De telles fêtes en costumes – outre leur rôle dans le culte passéiste de la monarchie absolue et de son cérémonial, dans lequel la duchesse de Berry a un rang à tenir – contribuent à faire imposer la Renaissance comme source d’inspiration principale pour la mode, ce qu’illustre parfaitement la fraise.

▲Portrait de Mademoiselle Jeanne Suzanne Catherine Gonin,
par Jean Auguste Dominique Ingres, 1821,
The Taft Museum, Cincinnati, Ohio sur Wikipedia

▲à g. : La famille Begas (détail), par Karl Josef Begas, 1821,
Wallraf Richartz Museum, Cologne sur Wikipedia
à dr. : Portrait de Maria Clarissa Leavitt, par Samuel Lovett Waldo, vers 1820-1825,
The Brooklyn Museum, New York

▲à g. : Fichu pélerine garni d'une fraise, planche des Costumes Parisiens, 1826
à dr. : Portrait de Marie J. Lafont-Porcher, par François Joseph Kinsoen, 1835,
Groeninge Museum, Bruges sur Web Gallery of Art

▲à g. : Portrait de Madame Henri François Riesener (née Félicité Longrois), par Eugène Delacroix, 1835,
The Metropolitan Museum of Art, New York

La fraise du début du XIXe siècle ne se veut pas un pastiche de la mode Renaissance, mais juste un clin d'oeil. De tous temps, la mode se nourrit d'emprunts, de copies, de références, de citations, qui se combinent en réponse à des raisons esthétiques, artistiques et même, on l'a vu, politiques. Ces nouvelles formes sont réactualisées, les techniques renouvelées. Bien amenées, elles s'intègrent à la mode du temps, et, comme la fraise, peuvent durer très longtemps.

(à suivre : la fraise des XXe-XXIe siècles)


3 février 2010

La fraise (4) – de la fraise au col rabattu



La Fête champêtre, par Dirck Hals, 1627 Rijcksmuseum, Amsterdam

D'où vient la mode de la fraise ?

Sauf à dire qu'elle est née du petit ruché qui borde la chemise au XVIe siècle [Lire fraise (1)] , les historiens ne se prononcent guère sur l'origine de la fraise. Elle ne serait pas une invention européenne, mais inspirée de cols de mousseline empesée d'eau de riz portés en Inde, reprise par les Hollandais. Cette mode s'est ensuite répandue sur toute l'Europe occidentale par l'intermédiaire des marchands.

Banquet de noces présidé par les Archiducs (détail), par Jan Brueghel l'Ancien,
vers 1612 Musée national du Prado, Madrid

Dans son Histoire du costume en Occident, François Boucher écrit : « Des Européens venus aux Indes et à Ceylan dès le début du siècle ont pu être frappés par les grands cols de mousseline empesés à l'eau de riz (dont l'usage est déjà mentionné dans le Livre des Lois de Manou) qui, dans ces pays, protègent les vêtements du contact des longs cheveux huilés. Ce mode d'empesage aurait été rapporté aux Pays-Bas, d'où il serait passé en Angleterre – il y était déjà employé en 1564 – et naturellement en Espagne. »

Une mode luxueuse qui requiert du savoir-faire

Objets de luxe, les fraises sont extrêmement coûteuses. Leur confection requiert un métrage de toile de lin ou de batiste particulièrement fine, de trois à quatre mètres pour une petite fraise, qui peut atteindre les quinze mètres voire au-delà. Et même si la main d'œuvre coûte moins cher qu'aujourd'hui, leur fabrication compliquée et délicate ne peut être réalisée que par des couturiers et des lingères très qualifiés, qui y passent beaucoup de temps. Une anecdote raconte qu'un courtisan de Louis XIII acquiert une fraise dont la valeur atteint celle de « vingt-cinq arpents d’excellents vignobles » !

▲Portrait de la reine Elisabeth I d'Angleterre (dit de l'Armada),
par George Gower, vers 1588, Woburn Abbey, sur Wikipedia

Les fraises sont en outre plissées, tuyautées, godronnées, empesées. Leur entretien nécessite aussi des spécialistes. On sait par exemple que la reine Elizabeth I d'Angleterre a engagé une Flamande pour préparer ses fraises, qu'elle possède en grand nombre. Certaines, décrites avec précision, figurent, ainsi que le nom du donateur, sur la liste des cadeaux que la reine reçoit chaque année au Nouvel An.

▲Caricature du début du XVIIe siècle représentant des singes
portant et entretenant des fraises (détails).
On y voit notamment le lavage, le séchage, l'empesage et le repassage.
Bayerisches Nationalmuseum, Munich

Après lavage, empesage et séchage, les tuyaux empesés et godronnés sont dressés grâce à des outils spéciaux, chauffés sur un poële dans un récipient de sable, à une température suffisamment chaude pour être efficace, mais qui ne doit pas non plus brûler le tissu fragile. On utilise notamment un fer long de forme arrondie, et un outil en forme de pipe ou de poire. Ces techniques, utilisées jusqu'au XXe siècle pour le repassage des coiffes ou autres articles délicats, demande une très grande habileté de la part de la lingère ou de la repasseuse.

▲à g. : Portrait de Richard Goodricke of Ribston, par Cornelis Ketel,
1578-80 The Weiss Gallery, Londres
à dr. : Schéma de technique de repassage des godrons
source : blog carlynbeccia

▲à g. : Fraise en lin, vers 1620-1629,
Victoria & Albert Museum, Londres
à dr. : Portrait de jeune garçon, par Jacob Willemsz Delff, 1581
Rijksmuseum, Amsterdam

Au XVIe siècle, l'invention des aiguilles d'acier donne un essor nouveau aux broderies « reticelli » et aux dentelles « punto y aria » qui vont orner la fraise et la rendre encore plus luxueuse. Ce savoir-faire est celui de femmes travaillant le plus souvent à domicile, mais il est aussi de bon ton, dans l'aristocratie, de s'adonner à ce passe-temps nouveau, à l'aide de livres de modèles que l'on s'offre. Ainsi Catherine de Médicis pratique l'art de l'aiguille, qu'elle enseigne à sa belle-fille Marie Stuart.

▲à g. : Bordure de dentelle, Italie, vers 1600-1620,
Victoria & Albert Museum, Londres
à dr. : Portrait de Christine de Lorraine, Ecole française,
Galerie des Offices, Florence,
reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

La Joyeuse Compagnie musicienne, par Dirck Hals, 1623,
collection privée sur Web Gallery of Art

Une mode exigeante et difficile à porter

Ces fraises à simple, double ou triple rang, bordées de hautes dentelles empesées comme le corps de la fraise elle-même, qui demandent d'énormes métrages de tissu, sont bien sûr, en plus d'être encombrantes, lourdes à porter, malgré leur finesse. Aussi va-t-on imaginer toutes sortes de techniques et d'artifices pour les soutenir et alléger les épaules et le cou.

Parfois, seul le col relevé du pourpoint soutient la fraise. Quand elle est plus large ou volumineuse, on utilise un soutien-col ou carcan [en anglais : supportasse, mot d'origine française] placé sur la nuque, attaché à la robe ou au pourpoint, qui dresse la fraise et la maintient pour encadrer le visage.

Carcan supportasse anglais en carton, rembourrage en coton,
recouvert de satin de soie ivoire, vers 1600-1625, Victoria & Albert Museum, Londres

Carcan supportasse anglais en carton recouvert de satin de soie ivoire,
bordé de gros grain, moulé sur le cou, vers 1600-1625,
Sur la patte du milieu figurent deux trous destinés à rattacher le support au vêtement par des lacets.
Les Anglais l'appellent aussi pickadil car les fabricants étaient installés dans le quartier de Pickadilly
Victoria & Albert Museum, Londres

▲Reconstitution moderne de la fraise et du carcan supportasse
sur le site marchand verymerryseamstress.com

Parfois on utilise un châssis ou une armature de fil métallique [rebato] recouvert de fil de soie pour la soulever haut sur la nuque. Châssis et col sont liés et travaillés ensemble. Ce style de collerette, appelée aussi collet monté (d'où l'expression idiomatique) apparaît à la fin du siècle.

La Joyeuse Compagnie à table, par Dirck Hals, 1627-1629,
Staatliche Museen, Berlin sur Web Gallery of Art

L'élégante compagnie à table, par Dirck Hals, vers 1625,
Johnny van Haeften Gallery, London, sur The Bridgeman Art Library

Support armature en laiton et fraise en gaze, début XVIIe,
Musée de la Renaissance Ecouen, reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

▲à g. : Bal donné au Louvre en présence d'Henri III et de Catherine de Médicis
pour le mariage d'Anne, duc de Joyeuse et de Marguerite de Lorraine-Vaudémont
(soeur de la reine Louise), le 24 septembre 1581,
Ecole française, Musée du Château de Versailles,
reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux
à dr. : Support armature et fraise ouverte en collerette, source : blog carlynbeccia

A la fin du siècle, quand les fraises auront atteint leurs plus grandes dimensions, en largeur ou en hauteur, elles s'amolliront en fraises à la confusion, une fraise non empesée, à plusieurs rangs, nettement moins rigide, ainsi nommée parce que ses plis sont désordonnés. Elle tombe et s'étend sur les épaules, d'abord en collerette, puis en grands collets rabattus, pour se transformer en cet élégant col rabattu bordé de dentelle, si typique de la mode Louis XIII. Cette transformation va se faire progressivement, on porte à la même période différents types de fraises.

▲à g. : Portrait de Marcantonio Doria, premier prince d'Angri, par Simon Vouet, début XVIIe siècle,
Musée du Louvre, reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux
à dr. : Portrait de jeune homme, par Simon Vouet, début XVIIe siècle,
Musée du Louvre, reproduction RMN, statut : domaine public sur
Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

▲à g. : Portrait de Gaston d'Orléans enfant, par Frans Pourbus le Jeune, 1611,
Palais Pitti, Florence sur Ciudad de la pintura
à dr. : Fraise à la confusion en fine batiste, vers 1615-1635,
Rijksmuseum, Amsterdam

▲de g. à dr. : Portraits de Louis XIII, par Frans Pourbus le Jeune,
en 1611, 1612, 1615 et 1616, sur Passion.Histoire.net

▲à g. : Portrait de cavalier riant, par Frans Hals, 1624
The Wallace Collection sur Web Gallery of Art
à dr. : Portrait d'homme assis, par Willem van der Vliet, 1636,
Musée du Louvre sur Web Gallery of Art

La famille de l'artiste, par Cornelis de Vos, vers 1630-1635,
Musée des Beaux-Arts, sur Web Gallery of Art.
L'homme porte la fraise à la confusion,
la femme et les enfants le col rabattu à la mode.

▲Portrait de Anna Rosina Tanck, épouse du maire de Lübeck,
par Michael Conrad Hirt, 1642, St. Annen Museum, Lübeck sur Wikipédia

Mode à la fois extravagante et stricte, tous les pays de l'Europe occidentale auront porté la fraise, de forme et de volume différents selon les pays, les personnes et leur condition. La fraise aura donc duré près d'un siècle, entre les années 1545 et 1630, et ne sera plus à la mode avant longtemps – jusqu'à la vague historiciste du début du XIXe siècle, qui fera bien sûr l'objet d'un prochain article.

(à suivre : la fraise du XIXe siècle)