25 janvier 2010

La fraise (3) – la fraise du début du XVIIe siècle



Pendant le XVIe siècle, le royaume d'Espagne jouit d'un grand prestige, à travers les richesses qu'il tire de ses expéditions aux Amériques, les alliances tissées depuis Charles Quint qui lui donnent une suprématie politique auprès des états catholiques, rehaussée encore par l'expulsion des Maures de l'Andalousie. L'élégance sombre et austère de son costume qui stylise les lignes du corps, le luxe des tissus sombres, sont couronnés par une fraise qui devient vite imposante.

Au début, comme en France, le col de la chemise se borde d'un ruché, puis la fraise est constituée, juste posée sur le pourpoint à collet montant pour les hommes, la ropa [robe ouverte] pour les femmes.

▲Portrait de Isabelle du Portugal, épouse de Charles Quint, mère de Philippe II, par Le Titien, 1548,
Musée national du Prado, Madrid

▲Portrait de Philippe II d'Espagne, par Sofonisba Anguissola, 1565,
Musée national du Prado, Madrid

▲Les infantes Isabella Clara Eugenia et Catalina Micaela,
filles de Philippe II d'Espagne et Elisabeth de Valois (Isabel),
par Alonso Sánchez Coello, vers 1575,
Musée national du Prado, Madrid

Puis la fraise monte en enserrant peu à peu le cou et la tête, pour devenir de plus en plus volumineuse. On l'appelle gran gola, puis golilla lorsqu'elle redeviendra plus petite.

▲Portrait de l'infant Philippe, futur Philippe III,
fils de Philippe II d'Espagne et Anne d'Autriche, 1580,
San Diego Museum of Art, San Diego

▲Portrait de femme, par Szipione Pulzone, vers 1585,
Musée national du Prado, Madrid

▲Portrait de Philippe III d'Espagne, par Pieter Paul Rubens, vers 1598
sur Wikipedia

▲Portrait de Marguerite d'Autriche, reine d'Espagne, épouse de Philippe III
par Juan Pantoja de la Cruz, 1607,
Musée national du Prado, Madrid

▲Portrait de Philippe III d'Espagne assis, par Bartolomé González, 1615,
Musée national du Prado, Madrid
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C'est en Espagne que la fraise est portée le plus longtemps, jusque vers 1630. Les autres pays l'ont oubliée, au point que la fraise devient un trait spécifique de la mode espagnole, en particulier dans les caricatures.

▲Portrait d'Elisabeth de Bourbon, épouse du futur roi Philippe IV d'Espagne,
par Rodrigo de Villandrando, vers 1620,
Musée national du Prado, Madrid

▲Portrait du prince Philippe, futur Philippe IV d'Espagne,
par Rodrigo de Villandrando, vers 1620,
Musée national du Prado, Madrid

▲Portrait d'Elisabeth de Bourbon, par Peter Paul Rubens, 1628-1629,
Musée de l'Hermitage, Saint-Pétersbourg

▲à g. : Portrait équestre de Philippe III d'Espagne, par Diego Velasquez
à dr. : Portrait équestre de Marguerite d'Autriche, par Diego Velasquez, datés de 1628-1635
(Philippe IV est déjà roi depuis 1621, à la mort de Philippe III, Marguerite d'Autriche est morte en 1611),
Musée national du Prado, Madrid

L'influence de l' Espagne s'exerce sur le costume de cour d'une grande partie de l'Italie, ainsi que les Pays-Bas, gouvernés par l'archiduchesse Isabella Clara Eugenia, fille de Philippe II, et son époux Albert de Habsbourg. Elle porte la ropa, sorte de manteau non ajusté et ouvert devant, et une haute fraise volumineuse en punte y aria très léger, à la mode espagnole, jusqu'à douze centimètres).

▲à g. : Portrait de Maria Serra Pallavicino, par Pierre Paul Rubens, 1606,
collection privée sur Wikipedia
à dr. : Portrait de la Marquise Brigida Spinola Doria, par Pierre Paul Rubens, 1606,
National Galllery of Art Washington

▲Portrait de Fernando II, grand duc de Toscane, par Justus Sustermans, vers 1627,
Musée national du Prado, Madrid

▲Portrait de d'Isabel Clara Eugenia, archiduchesse des Pays-Bas, par Juan Pantoja de la Cruz, vers 1598,
Musée national du Prado, Madrid

▲Portrait de d'Isabel Clara Eugenia, archiduchesse des Pays-Bas, par Frans Pourbus le Jeune,
vers 1600, sur Wikipedia
à dr. : Portrait de d'Isabel Clara Eugenia et Albert de Habsbourg, archiducs des Pays-Bas,
par Pierre Paul Rubens, vers 1600 sur Wikipedia

La fraise connaît un immense succès aux Pays-Bas, y compris dans les provinces protestantes. En effet, le protestantisme (né au début du XVIe siècle) ne tolère que des combinaisons de couleurs autour du noir, du gris et du blanc, parfois un peu de bleu. La fraise apparaît donc comme une des rares possibilités de fantaisie dans le costume.

▲Portrait de mariage d’Isaac Massa et de Beatrix van der Laen, par Frans Hals (détail), 1622,
Rijksmuseum, Amsterdam

▲à g. : Portrait de femme, probablement Sara Wolphaerts van Diemen, par Frans Hals,
vers 1630-1635, Rijksmuseum, Amsterdam
à dr. : Portrait de fiancée, par Johannes Cornelisz Verspronck, 1640,
Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome sur Wikimedia Commons

(à suivre : De la fraise au col rabattu)


13 commentaires:

  1. Bonjour Popeline,

    Cela me fait plaisir de te revoir sur le blog. Très bien cette approche plus européenne de la fraise. Les illustrations sont impressionnantes, mais comment faisaient-ils pour tourner la tête?! Ah la mode connait toujours des excés, surtout avant son déclin.

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  2. des connaissances infinies sur un thème qui met cher.
    Merci Popeline. je reviendrai souvent.

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  3. Bonjour Tiphaine,

    J'ai en effet été bien absente ces derniers temps. Je vais essayer de me rattraper.

    Comment faisaient-ils pour tourner la tête ? Eh bien c'est une question que je me suis aussi posée, et dans le prochain article, je compte montrer quelques éléments sur la façon de porter la fraise : ils avaient des "trucs" ! A suivre donc...

    Merci de ta fidélité, toi ma toute première lectrice !

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  4. Bonjour Evelyne,

    Bienvenue sur Les Petites Mains !

    J'ai fait un tour sur " I Segreti della Notte " dont certaines pages sont très émouvantes.

    J'apprécie aussi votre goût dans la mise en page des photos, un élégant méli-mélo très réussi.

    A bientôt, donc.

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  5. je suis impressionnée par ton travail de recherche!
    avec le recul, ça faisait tarte, tout de même, toute cette splendeur...;)

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  6. C'est effectivement difficile de comprendre cette mode avec nos critères d'aujourd'hui. Comme je l'ai déjà écrit, la mode était alors à une allure altière et figée qui traduisait le "rang" de celui qui la portait – et tous ceux qui pouvaient suivaient.

    Car très peu de gens en fait étaient ainsi habillés, même les vêtements ordinaires atteignaient des prix qu'on n'imagine même pas. Rien n'était alors industrialisé, cela veut dire qu'il fallait faire tout le travail à la main, à partir de la graine de chanvre ou de lin : semis, culture, récolte, rouissage, teillage, filage, teinture, tissage, couture à la main, broderie…

    Peut-être pourrait-on faire la comparaison avec l'automobile aujourd'hui : une petite voiture d'occasion pour les personnes les moins riches, et une voiture de luxe aménagée sur mesure à la demande du client très riche.

    De toute façon, je crois qu'eux aussi seraient assez ahuris de voir comment nous nous habillons aujourd'hui !

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  7. les illustrations sont fort bien choisies et les commentaires intéressants. Je les ai utilisées pour faire un petit cours d'histoire spécial veille de vacances de Noël sur la mode aux XVI-XVII° avec une classe de 4°, qui a bien marché. Sauf qu'à la rentrée les élèves s'étaient donné le mot et la moitié d'entre eux porté une énorme fraise faite sur mesure avec l'aide de leur maman pendant les vacances....Comme quoi la mode est cyclique!
    Julien, prof d'histoire.

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  8. Désolée, Julien, votre commentaire est passé inaperçu. C'est d'autant plus dommage que je m'intéresse beaucoup au travail d'élèves autour du thème de la mode et du costume.

    Je mets actuellement en place un projet d'atelier d'e-criture avec des collégiens, qu'on peut voir sur cette url : http://vivianelehouedec.fr/ C'est en quelque sorte un "projet numéro zéro" qu'on peut adapter selon les classes, les niveaux, les objectifs, que j'aimerais bien voir essaimer dans des écoles.

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  9. Ils ne touraient pas la tête, c'était impossible et cela leur donnait un air supérieur désiré.

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  10. Je suis une femme de 45 ans et j'adorerais porter ce genre de robe avec la plus extravagante des fraises. J'aimerais aussi avoir mon cou bien étiré et serré avec une sorte de corset de cou en dessous de la fraise pour avoir un air encore plus hautain.
    Un jour je vais porter une tenue semblable pour un bal.

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  11. Vous pouvez vous inspirer des portraits de Catherine de Médicis, vous serez royale !

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  12. Aidez-moi à trouver une photo de la plus extravagante et la plus encombrante des robes de cette époque incluant un corset de cou et une fraise très très épaisse et immense. Je porterai cette robe avec le plus grand des plaisirs.

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  13. Waouhhhhhh on dirait qu'il ont tous pris un smecta

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