« D’abord raboteux et étranger. Il a beau le tripoter, les mailles restent neuves, raides et sans odeur. Blanches. Ce n’est pas lui. Froncement de sourcils. Il faut tout recommencer.
Il lui faut du temps pour l’apprivoiser. Blotti dans un coin de son berceau, il commence par saisir délicatement la petite boule formée par la couture d’angle. Il la roule patiemment entre les doigts. Ses yeux se ferment. Instinctivement, il porte à sa bouche le carré de tissu. D’abord par le coin, puis petit à petit, les sucs imprègnent l’intégralité du carré de coton, estampillant au cœur des fibres une signature personnelle qui deviendra indélébile. Inlassablement, chaque irrégularité est investie. La pulpe du doigt se loge avec plaisir dans les petites alvéoles. On n’entend plus qu’un bruit de succion et le tracé des doigts potelés qui suivent le quadrillage irrégulier des fils. Bientôt, l’enfant s’endort et le doudou d’étoffe se soulève doucement à l’endroit de son cœur.
D’abord raboteux et étranger. Maintenant rêche et doux. Docile. Mais plus tout à fait blanc. Doudou dans un lange de coton. Il lui ressemble enfin. Rêver que Maman ne le lave pas celui-là. »
▲Linus et son doudou, extrait de Charlie Brown, de la série des Peanuts, par Charles Schulz
Tout le monde connaît le mot « doudou » apparu au XXe siècle par redoublement de l’adjectif doux, pourtant bien des dictionnaires « sérieux » l’ignorent encore. Le Petit Larousse le définit ainsi : objet fétiche (auquel sont attribués des propriétés magiques, bénéfiques), généralement morceau de tissu, dont les petits enfants ne se séparent pas et avec lequel ils dorment. Lanto le dit autrement plus joliment.
▲Claire à deux ans, sa totoche, et les doudous Jacqueline et Radis►Le doudou, objet transitionnel
Le doudou est le premier objet matériel possédé en propre par le bébé. Dans les pays occidentaux, environ la moitié des enfants en possède un. Il apparaît entre quatre mois et un an, et disparaît généralement avant six ans. Ce peut être un morceau de tissu, une petite couverture [le terme anglais est : security blanket ou blankie], une peluche, une musique… Il arrive quand la mère, reprise par ses occupations, commence à s’éloigner un peu de son bébé. Le doudou aide le bébé à rétablir une certaine continuité menacée par cette séparation, il donne à l’enfant une image rassurante pour remplacer la mère absente, il le réconforte. Situé entre le bébé et sa mère, ni intérieur ni extérieur, il ne fait pas partie de son propre corps mais le bébé ne le reconnaît pas encore comme appartenant à son environnement : on parle alors d’objet transitionnel.
▲Donald Woods WinnicottC’est le pédiatre, psychiatre et psychanalyste anglais, Donald W. Winnicott qui le premier a élaboré ce concept. Le doudou objet transitionnel est donc un objet privilégié, que l'enfant choisit, qui permet son cheminement du subjectif vers l'objectif. Plus tard, il l’abandonnera, mais cet espace transitionnel ainsi conquis lui donnera accès au jeu ; plus tard encore, quand il sera adulte, il l’ouvrira aux activités culturelles. Winnicott considère que l'objet transitionnel appartient au domaine de l'illusion, « champ intermédiaire d'expérience, dont il [l’enfant] n'a à justifier l'existence ni à la réalité intérieure, ni à la réalité extérieure ». Ce champ intermédiaire va se poursuivre tout au long de la vie, avec ses expressions dans l'art, l'imagination et la créativité.
►Les peluches d’Annette Messager
Annette Messager, artiste contemporaine, trouve une sensualité particulière dans la peluche, qui évoque la symbolique enfantine. Elle l’emploie dans ses installations pour mettre en avant son rapport particulier à l’enfance, comme si elle flottait elle aussi entre deux mondes, celui de l’âge adulte et celui de l’enfance. Certaines de ses installations sont constituées de fragments de peluches, collections d’yeux, de museaux, assemblés en un grand coeur ou une croix.
▲Les Restes, par Annette Messager, 1998▲Caoutchouc-Croix, par Annette Messager, 2002-2003
La peluche, objet transitionnel, offre cet espace de liberté, dans lequel l’enfant exerce son pouvoir et son désir. Pour Annette Messager, l’enfant accepte sa part animale, et quand Annette Messager artiste, s’empare de cet univers enfantin et qu’elle le modifie, elle veut suggérer une forme de brutalité, elle évoque cet espace et le transgresse, comme si cette part d’enfance échappait aux années, à la culture, à la civilisation et qu’elle la reconnaissait en tant que femme et artiste.
►Doudous d’ados
Peut-être faut-il voir dans le prodigieux succès des peluches aujourd’hui – qui n’en possède pas, accrochée à son sac, ses clés, son téléphone ? – une manifestation du phénomène des adulescents [kidults en anglais], mot-valise lancé par les publicitaires, repris par les psychanalystes, qui qualifie le prolongement en entre-deux de l’adolescence malgré l’entrée dans l’âge adulte, vingt-cinq pour les uns, trente-cinq pour les autres, et même au-delà.
C’est dans cet esprit et ce contexte que j’ai conçu en atelier créatif avec des collégiens ces « Doudous d’ados », à partir de vieilles chaussettes mises au rebut. Pas mal, non, comme résultat, pour des filles et des garçons qui n’avaient jamais tenu une aiguille ?
C’est avec ce magnifique texte de Lanto, tendre et sensuel, que je termine cette parenthèse d’été, qui nous a fait franchir des frontières bien au-delà de la mode enfantine. J’espère que ces textes produits en atelier d’écriture par mes camarades de classe « écrivains publics » sur le thème du vêtement et de l’enfance vous ont plu. Je tiens ici à les remercier de leur confiance bienveillante et à leur souhaiter à tous succès et prospérité dans leur nouvelle vie professionnelle.
Je lutte depuis la rentrée pour que les doudous de mes petits élèves restent à la maison !
RépondreSupprimerLa boite à doudous et aussi la boite à microbes !
Bonne soirée.
Oh les pauvres loulous ! Ben oui je sais c'est aussi cela grandir...
RépondreSupprimerje suis tombé sous le charme de ton blog,je reviendrai te rendre visite souvent j'aimerai que tu jette un coup d'œil sur le mien.bon weekend.
RépondreSupprimerBonjour Mr Point.
RépondreSupprimerJ'ai effectivement fait un tour sur Chocoolat. Pas mal l'essai de rédaction d'un texte aux réelles qualités littéraires mais avec des fautes volontaires, j'aime assez cette manière de remettre en question les normes...
Par contre, à propos de "charme" - je ne suis pas prude, mais je me suis retrouvée avec des publicités pop-up de "charme" assez crues, très peu compatibles avec l'esprit d'enfance des Petites Mains !
Cette article est très singulier et plein de tendresse, merci
RépondreSupprimerEn effet, on s'écarte un peu ici de la mode enfantine, et même de la mode tout court. Mais c'est pour mieux y revenir !
RépondreSupprimerC'est vrai qu'on est attendri par le joli texte de Lanto et la touchante maladresse de certains doudous de mes collégiens.