7 février 2014

La vêture des Enfants trouvés (4) – la layette



Cet article est le quatrième d'une série initiée par une rencontre avec MuB, auxiliaire puéricultrice dans une pouponnière, auteure du blog Pouponniere's Blog [Pour en savoir plus : lire sur Les Petites Mains, La vêture des Enfants trouvés (1)].

▲Vue de la crèche de l'Hospice des Enfants trouvés, vers 1840
Musée de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, Paris

▲à g. : La Nourrice, par Pierre Duval Le Camus, vers 1831
Musée du Louvre sur sur Base Joconde
à dr. : Extrait d'un livret de placement du Conseil général des Hospices civils et secours de Paris
Musée de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, Paris
Il est précisé entre autres que « la layette a été remise » à la nourrice.

Les textes officiels concernant les enfants trouvés confirment, en 1811, que « doit être remise à chaque nourrice une layette, au moment où on lui confie un enfant nouveau-né ». De plus « les vêtures qui suivent les layettes sont données aux enfants trouvés d'année en année, jusqu'à l'âge de six ans accomplis ». On tient compte des particularités régionales : « Il appartient aux préfets de régler, suivant les usages des localités et les produits des fabriques du pays, la composition des layettes et vêtures » ; mais, l'arrêté de 1811 précise : « on croit utile de faire connaître, pour terme de comparaison, comment sont composées ces layettes à Paris » et s'ensuit un tableau à titre de modèle a minima.

Ces textes me servent de bases, d'une part pour décrire la layette et l'emmaillotement des bébés – c'est l'objet de cet article – d'autre part la mise en « robe » à partir de huit à neuf mois, autrement dit en vue de l'apprentissage de la marche – c'est l'objet du prochain article à venir.

Pour ce qui est des tissus, je vous renvoie aux précédents articles des Petites Mains sur la « vêture des Enfants trouvés » : le trousseau des enfants trouvés (1) ; jusqu'au XVIIIe siècle, des tissus de laine, de chanvre et de lin (2) ; au XVIIIe siècle, le coton et l'arrivée des indiennes (3).

▲L'Enfant trouvé, par George Bernard O'Neill, 1852, Tate Gallery, London

De 1756 à 1843, que nous disent les sources sur la vêture des enfants trouvés ?

En 1756, selon les Statuts et règlements généraux de l'Hôpital général du Grand Hôtel-Dieu de la ville de Lyon, la nourrice reçoit pour « chaque enfant à la mamelle » : « un berceau, trois langes de cordillat, six drapeaux qui doivent être faits avec des draps qui aient déjà servi, pour qu'ils soient moins rudes, deux bandes, deux béguins et un bonnet de laine ».

En 1774, le Règlement concernant les Enfants trouvés de Paris, arrêté au bureau de l'Administration le 28 mars 1774 liste et décrit plus précisément la layette des enfants trouvés : « une couverture de laine blanche, deux langes d'étoffe, deux langes piqués, six couches, quatre bandes, quatre béguins, quatre tours de cou, quatre chemises en brassières, une brassière d'étoffe blanche, quatre cornettes et un bonnet de laine. »

Selon le Décret impérial du 19 janvier 1811 concernant les Enfants trouvés ou abandonnés et les Orphelins pauvres, la layette du nouveau-né est constituée de : cinq béguins, deux bonnets d'indienne, un bonnet de laine, six couches, une couverture, cinq fichus de toile, deux langes de laine, deux langes piqués, cinq chemises en brassière.

Suit « la vêture » avec des variantes en fonction de l'âge de l'enfant, qui correspond à la période de l'enfant en robe. L'attribution des layettes et vêtures dépend donc de l'âge à lequel l'enfant est recueilli et placé. Selon son âge et qu'il soit propre ou non, il reçoit soit la layette, soit l'une des vêtures prévue pour sa tranche d'âge – elles s'affinent entre le XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe : 9 à 21 mois ; 21 mois à 3 ans ; 3 à 4 ans ; 4 à 5 ans ; 5 à 6 ans, pour les listes de 1843. En plus de cette layette ou de cette vêture, entre neuf mois et trois ans, âge de transition quant à l'acquisition définitive de la propreté, l'enfant reçoit aussi le demi-maillot. Celui-ci est composé en 1811 d'un béguin, un bonnet de laine, une brassière de laine, une chemise en brassière, quatre couches, une couverture, un fichu de toile, deux langes de laine, deux langes piqués.

En 1843, une circulaire du Ministre de l'Intérieur aux préfets relativement à la composition des layettes et vêtures à fournir aux hospices... rappelle par des tableaux détaillés selon les âges « le minimum des objets indispensables à comprendre dans la composition des layettes, demi-maillots et vêtures », qui sont sensiblement les mêmes qu'en 1811. Le rapporteur insiste sur la nécessité de la qualité des vêtements : « destinés à un usage prolongé et de chaque jour, ils ne peuvent y résister lorsque la qualité est médiocre, et les enfants arrivent rapidement à un état de dénuement qui compromet leur santé. Vous aurez soin aussi, après chaque article et selon sa nature, d'en fixer le poids ou les dimensions, ainsi que le prix ». Les couches passent du nombre de six en 1811 à douze en 1843, les chemises à brassière et brassières de cinq à huit. Ces listes, données à titre d'exemple aux autorités des diverses régions, précisent clairement qu'« il s'agit du minimum des objets indispensables ». À titre de comparaison, au début du XIXe siècle, une layette bien fournie confectionnée par une lingère professionnelle comprend six dizaines de couches.

▲Coffre à layette du dauphin, 1781, Château de Versailles et Trianon
Cette « layette » a été offerte par la Ville de Paris à Louis XVI et Marie-Antoinette
pour la naissance du premier dauphin, Louis Joseph Xavier François de France,né le 22 octobre 1781 ; les vêtements du bébé sont rangés dans un petit coffre ou layette de bois ou d'osier ;
par glissement, le contenu a pris le nom du contenant.
Celui-ci, offert à un prince, est particulièrement somptueux.
sur Agence photographique de la RMN

▲Boutique de lingère, planche (détail) de Encyclopédie méthodique, dite Encyclopédie Pancloucke, 1782
sur le blog zipzipinkspot

▲à g. : Planche III : Lingère (détail), 1751, sur Encyclopédie de Diderot et d'Alembert
à dr. : Brassière en batiste brodé et dentelle du roi de Rome, fils de Napoléon, 1811
Château de Fontainebleau sur Agence photographique de la RMN

▲à g. : Planche I : Lingère (détail), 1751, sur Encyclopédie de Diderot et d'Alembert
à dr. : Layette de nourrisson, XVIIIe siècle, Musée du Costume et de la Dentelle, Bruxelles

▲à g. : Chemise de garçonnet en lin (détail brodé), Amérique, XVIIIe siècle
Museum of Fine Arts, Boston
au centre et à dr. : Planche IV : Lingère (détail), 1751
sur Encyclopédie de Diderot et d'Alembert

D'où vient le mot layette ?

Dans les familles, les vêtements du bébé sont rangés dans un petit coffre ou layette de bois ou d'osier – par glissement, le contenu a pris le nom du contenant. Ce petit meuble peut faire l'objet d'un cadeau prestigieux lors de la naissance d'un enfant, comme celui offert par la Ville de Paris à Louis XVI et Marie-Antoinette pour la naissance du premier dauphin Louis-Joseph, le 22 octobre 1781.

La confection des trousseaux et des layettes relève du travail de la corporation des lingères, parfois des couturières. Jusqu'au XVIIe siècle, la couturière est une exécutante à la solde des tailleurs et des lingères ; la différence entre lingères et couturières s'estompe lorsque la couture n'est plus l'apanage des hommes, suite aux arrêtés royaux de 1675, puis de 1782.

Certaines sources précisent que les trousseaux des enfants trouvés sont réparés par les « demoiselles de l'assistance », jeunes pensionnaires qui résident dans les hospices pour y effectuer divers travaux. Sans doute les plus habiles d'entre elles confectionnent aussi layettes, vêtures et trousseaux. En 1756, les statuts et règlements des hôpitaux de Lyon précisent que les sœurs sont employées « à faire les habits des personnes de la maison, aux lessives et à la couture ». En 1834, il est clairement dit que « layettes et vêtures sont faites à l'Hospice général [de Rouen] par les jeunes filles de l'établissement ».

▲en ht : Ex-voto représentant un bébé emmailloté, IIe siècle
Temple de La Croix Saint-Charles (Côte d'Or)
Musée d'Archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye
sur Agence photographique de la RMN
en bas : Scènes de la vie du Christ, la Nativité (détail), Giotto di Bondone, 1304-1306
chapelle de l'Arena (église de Scrovegni), Padoue sur wikimedia commons

▲en ht. : Vierge à l'enfant emmailloté, par Albrecht Dürer, 1520, sur Gallica, BnF, Paris
en bas : Fragment de monument funéraire représentant un bébé emmailloté,
(peut-être celui des petits-enfants de la duchesse de Bouillon, église de Nogent-le-Roi,
Matthieu Jacquet, 1577), Musée du Louvre, Paris

▲La nourrice, par Henri Bonnart, graveur dessinateur, XVIIe siècle,
Musée Carnavalet sur Agence photographique de la RMN
Le bébé reçoit, selon son âge, soit une layette, soit une vêture ;
entre 9 mois et 3 ans, période de transition, il reçoit en plus le demi-maillot.

▲Tableau constitutif de la layette et des vêtures des enfants trouvés et orphelins
Décret impérial du 19 janvier 1811 concernant les Enfants trouvés ou abandonnés et les Orphelins pauvres
dans Travaux de la commission des Enfants-Trouvés instituée le 22 août 1849 par arrêté du Ministre de l'Intérieur

sur Galllica, BnF, Paris

L'emmaillotement serré, une pratique connue depuis l'Antiquité

L'emmaillotement se fait en plusieurs séquences : jusqu'à l'âge d'un mois à six semaines, le maillot enserre le nourrisson des pieds à la tête ; puis le demi-maillot libère les bras, d'abord seulement le jour, puis aussi la nuit ; enfin, vers huit mois, l'enfant revêt sa première robe, composée d'un jupon cousu à un corps baleiné, et d'un tablier, tout en ayant les jambes emmaillotées ; c'est une sorte de transition entre le maillot et la chemise ou la robe dont on le vêt vers l'âge de un an. Les fesses nues sous cette chemise ou cette robe qui lui tombe aux pieds, il devient propre à son propre rythme.

François Mauriceau, célèbre accoucheur du XVIIe siècle décrit ainsi l'emmaillotement aux mères, aux sages-femmes et aux nourrices : «... elle l’emmaillotera dans des langes et couvertures […] ; elle lui mettra encore d’autres linges sur la poitrine et aux plis des aisselles et des aines ; après quoi elle le bandera, l’ayant enveloppé dans des couches et des langes bien chauds. […] Ses bras et ses jambes seront enveloppés de sa couche et étendus en droite ligne, puis bandés pour les tenir en cet état. Savoir les bras le long de son corps et les jambes l’une proche de l’autre également situées, avec un peu de la couche entre deux de peur qu’elles ne s’échauffent en se touchant et frottant à nu. »

▲à g. : Lettre majuscule « P » avec enfant Jésus dans ses langes,
enluminure d'un livre d'heures, XVe siècle
Musée du Louvre sur Agence photographique de la RMN
à dr. : La madone protégeant les orphelins de Florence (détail), par Domenico di Michelino, 1440
Hôpital des Innocents, Florence sur wikimedia commons

▲à g. : La présentation au temple, par Giovanni Bellini, 1470-1480
à dr. : La Vierge à l'enfant emmailloté, par Filippo Lippi, vers 1450
sur wikimedia commons
au centre : bande d'emmaillotement en lin bordé de dentelle, probablement italienne,
vers 1575-1600, Victoria and Albert Museum of Childhood, Londres

▲à g. : Gabrielle d'Estrées au bain (détail), École de Fontainebleau, XVIIe siècle
Musée Condé, Domaine de Chantilly, Chantilly
à dr. : Portrait de jeune enfant emmailloté, par Claude Deruet, 1588 sur Drouot

▲à g. et à dr. : bande d'emmaillotement en lin bordé de dentelle, probablement italienne,
vers 1575-1600, Victoria and Albert Museum of Childhood, Londres
au centre : Médaillon de la façade de l'Hôpital des Innocents, Florence
par Andrea della Robbia, 1487 sur wikimedia commons

Pour emmailloter le nourrisson, on plaque ses bras serrés les mains ouvertes le long du corps, on croise sur sa poitrine et son ventre, les uns après les autres, en particulier dans les plis du corps, les linges, « drapeaux » (chiffons, lambeaux de drap, carrés de tissu) ou couches dont la fonction est d'absorber la transpiration et les déjections du bébé. Puis on tient serré les jambes bien droites parallèles l'une contre l'autre, parfois au XVIIe siècle à l'aide d'une attelle de bois, et on les enferme dans des langes de tissu, chevilles plus ou moins liées. On maintient ces linges avec une large bande de toile (parfois deux) qui enserre étroitement le corps du nourrisson des pieds aux épaules.

Pourquoi une telle entrave ? « L'enfant doit être emmailloté afin de donner à son petit corps la figure droite qui est la plus décente et la plus convenable à l'homme et pour s'accoutumer à se tenir sur ses deux pieds ; car sans cela, il marcherait peut-être à quatre pattes, comme la plupart des autres animaux » écrit Mauriceau. Dans Le Vêtement incarné, l'historienne de l'art France Borel décrit comment l'imaginaire collectif de nombreuses civilisations humaines refuse le corps « naturel » ; de manière quasi-universelle, l'homme prétend affirmer sa liberté et sa supériorité, se démarquer de l'animalité, en façonnant son corps. Ainsi les sages-femmes européennes remodèlent le crâne des nourrissons, parfois le nez, juste après l'accouchement et on pratique, via l'emmaillotement, la rigidification d'un corps humain « dressé ».

▲à g. : Bande d'emmaillotement en lin brodé, probablement italienne, vers 1600-1625
Victoria and Albert Museum, Londres
à dr. : La Nativité, par Philippe de Champaigne, vers 1643-1644
Musée des Beaux-Arts, Lille sur wikimedia commons

▲à g. : Portrait de jeune fille et enfants (détail), par Wallerant Vaillant, vers 1650-1677
Rijksmuseum, Amsterdam, sur wikimedia commons
au centre : Le nouveau-né (détail), par Matthijs Naiveu, 1675
The Metropolitan Museum of Art, New York sur wikimedia commons
à dr. : La famille heureuse ou le retour de baptême (détail), par Louis Le Nain, 1642
Musée du Louvre, Paris sur wikimedia commons

▲Femme cousant avec deux enfants, par le Maître de la toile de jean, fin XVIIe siècle,
sur Galerie Canesso, Paris

▲à g. : L'Hiver (détail), par Giuseppe Gambarini, 1721
Pinacothèque nationale, Bologne sur wikimedia commons
à dr. : Bande d'emmaillotement en lin brodé, probablement française, vers 1700-1750
Victoria and Albert Museum of Childhood, Londres

▲Saint Vincent de Paul présidant une réunion des Dames de la Charité (détail)
École française, vers 1732
Au premier plan du tableau, une fille de la Charité prend soin d'enfants trouvés, emmaillotés.
Musée de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, Paris

Les bandes ventrales en toile dites « anglaises », les bandes de flanelle de laine et le corset sont considérés comme indispensables au développement du bébé jusqu'à la fin du XIXe siècle, et même au-delà. Les bandes de toile ne sont pas un bandage ombilical à caractère médical. On les enroule sur le ventre du bébé pour le soutenir. Les bandes de laine ont pour but de le tenir bien au chaud. Lorsque le bébé grandit, on taille les bandes en biais pour qu'elles s'adaptent à ses formes rondes, ou on les tricote. Parfois les bandes de toile remplacent le corset, mais on conseille de porter les deux. Souple, sans busc ni baleine, le corset du bébé a pour fonction de maintenir ses reins et plus tard, au XIXe siècle, d'y attacher la couche-culotte par des boutons.

▲à g. : L'Enfant Jésus emmailloté, par François de Poilly,
d'après Simon François de Tours, vers 1670, Université du Québec, Montréal
à dr. : Manches de bébé en lin, Amérique, vers 1750, Museum of Fine Arts, Boston

▲L'Enfant Jésus emmailloté, par Jean Langlois,
d'après Jean Canis, imprimeur Claude Malbouré, vers 1676, Université du Québec, Montréal
à dr. : Chemise de bébé en lin, XVIIIe siècle, Museum of Fine Arts, Boston

▲Chemise de bébé en lin, Amérique, vers 1750, Museum of Fine Arts, Boston

▲L'enfant de l'artiste endormi, par Jean-Michel Moreau le Jeune, vers 1770
Museum of Fine Arts, Boston

▲Chemise de bébé en lin, Amérique, vers 1800, Museum of Fine Arts, Boston

▲Chemise de bébé en lin, Amérique, vers 1800-1810, Museum of Fine Arts, Boston

▲à g. : Une savoyarde (détail), par Noël Hallé, 1757, sur wikimedia commons
à dr. : Brassière de bébé en coton, fin XVIIIe – début XIXe siècle, Nederlands Openluchtmuseum, Arnhem

▲à g. : Brassière et bonnet en indienne, XVIIIe siècle, Musée de la Compagnie des Indes, Lorient
à dr. : Brassière en indienne, Hollande, vers 1750-1800, Rijksmuseum, Amsterdam
en médaillon : Bonnet de bébé en indienne matelassé, vers 1750-1800, Nederlands Openluchtmuseum, Arnhem

▲Brassière de bébé en toile de coton, droguet de laine et cretonne, XVIIIe siècle
Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée – MuCEM, Marseille

▲Brassière de bébé en coton, travaillé selon la technique du boutis, entre 1785 et 1825
Museon Arlaten, Arles sur Base Joconde

▲à g. : Portrait d'un jeune enfant, par Jean-Baptiste Mauzaisse, 1835
Musée Magnin, Dijon sur Agence photographique de la RMN
à dr. : Brassière de bébé d'été, en coton, XIXe siècle
Museon Arlaten, Arles sur Base Joconde

▲à g. : Brassière de bébé en coton imprimé, entre 1800 et 1875, Nederlands Openluchtmuseum, Arnhem
au centre : Jeune femme berçant un bébé, par Jacob Henricus Maris, 1868, National Gallery, Londres
à dr. : Lange en coton piqué et gratté blanc cousu machine (détail), 1875-1915
Museon Arlaten, Arles sur Base Joconde

▲à g. : Les suites de la séduction (détail), par Antoine Béranger, 1840
Musée de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, Paris
à dr. : Lange en toile de coton et de lin blanche, entre 1875 et 1915
Museon Arlaten, Arles sur Base Joconde

Le tout premier vêtement du bébé est sa chemise, portée en brassière, c'est à dire fermée en se croisant dans le dos. Qu'elles soient de chanvre, de lin, ou de coton à partir du XVIIIe siècle, il est recommandé de confectionner les chemises-brassières dans de vieilles étoffes, au contact plus doux pour la peau du bébé. Avec le demi-maillot, viennent en principe par-dessus la chemise, deux brassières, l'une en laine tricotée ou en flanelle, la seconde en boutis, en piqué de coton uni ou d'indienne. À partir de huit mois ou plus, le bébé porte déjà la robe sur son demi-maillot.

En hiver, on enveloppe encore le bébé ainsi ficelé et vêtu dans un lange ou une couverture de laine. Les bébés plus favorisés que les enfants trouvés peuvent être enveloppés dans un châle, des langes de parade en étoffe raffinée, en indienne, en mousseline brodée ou en dentelle [Lire sur Les Petites Mains, Mode enfantine et luxe (4) - la layette]. L'étymologie du mot lange explique clairement son utilisation : il se forme à partir de lanus, qui vient de lana, laine. Le lange, tissu de laine, se distingue du linge, tissu de lin des couches. Au fil des siècles, il perdra ce rapport étymologique avec la laine, mais restera ce morceau d'étoffe plus épaisse que le simple linge, qui enveloppe le bébé. On finira par confondre aussi la notion de lange et de maillot, comme désignant l'ensemble des linges et bandes qui recouvrent le nourrisson. Quant à l'origine du mot maillot, les grammairiens ne sont pas d'accord : certains le relient à mallus, fil de laine, d'autres à maille.

▲à g. : Le nouveau-né (détail), par Georges de La Tour, vers 1645-1648
Musée des Beaux-Arts, Rennes sur Agence photographique de la RMN
à dr. : L'Adoration des bergers (détail), Georges de La Tour, vers 1645
Musée du Louvre sur Agence photographique de la RMN

▲à g. : Enfant sur son lit de mort, par Anthonie Palamedesz, XVIIe siècle
à dr. : Bonnet de bébé en coton, 1780, Wisconsin Historical Museum, Madison

▲à g. : Saint Vincent de Paul présidant une réunion des Dames de la Charité (détail)
École française, vers 1732
Musée de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, Paris
à dr. : Bonnet de bébé en lin, vers 1750, Museum of Fine Arts, Boston

▲à g. : Les Jumeaux Clara et Aelbert de Bray (détail), par Salomon de Bray, 1646, sur le site Neuroland-Art
Cornette de bébé, vers 1900, Nederlands Openluchtmuseum, Arnhem
Dans les provinces nord du Brabant, ces cornettes ont été portées dans le costume local jusqu'au XXe siècle.

La tête et la fontanelle du bébé font l'objet d'un soin particulier

La tête du bébé, en raison de sa fragile fontanelle, fait l'objet d'un soin particulier. Mauriceau recommande de « premièrement à lui couvrir la tête d’un petit béguin de toile et d’un bonnet de laine par-dessus, ayant auparavant mis sur sa fontaine une compresse de linge bien doux, pliée en trois ou quatre doubles et larges de quatre doigts ; laquelle pour ne vaciller pas, doit être attachée au béguin, avec une petite épingle mise par dehors, afin qu’elle ne puisse pas piquer l’enfant ; cette compresse sert à défendre tant du froid que des autres injures, le cerveau de l’enfant, qui n’est pas pour lors recouvert d’os en cet endroit. Elle lui entourera les oreilles avec de petits linges, afin d’absorber la crasse qui s’y engendre ordinairement ». Le nourrisson garde cette têtière, appelée aussi fichu de tête, ou bandeau les premiers jours, qui s'attache donc au maillot à chaque épaule, jusqu'à ce qu'on le juge assez fort pour la tenir seul.

Il n'est pas rare, jusqu'au XVIIIe siècle, que trois voire quatre pièces nommées têtiers, coiffes, béguins, bonnets, cornettes se superposent sur la tête de l'enfant. Le premier « bonnet » du bébé est le béguin, qui protège la fontanelle. Il est généralement réalisé dans la même toile fine de lin ou de coton que la chemise ; il est ajusté à la tête grâce à une coulisse nouée sur la nuque. À l'extérieur, par-dessus le béguin, le bébé porte une cornette (au XVIIe siècle) ou un second bonnet (aux XVIIIe et XIXe siècles) de coton ou de laine, selon la saison. Le béguin évite de salir la cornette et le bonnet. Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle qu'on se préoccupe soudain que la tête de l'enfant pourrait s'échauffer ; on abandonne le couple béguin-bonnet pour un bonnet plus simple, assorti au manteau ou à la douillette.

Enfin, on enveloppe le buste du bébé d'un fichu de cou ou pointe de cou, en toile pour les enfants pauvres et les enfants trouvés, en linon ou en batiste fine pour les layettes plus riches. On enroule ce fichu autour du cou du bébé pour maintenir droite sa tête ; on le croise sur la poitrine par-dessus la brassière et on le noue dans le dos ou on le prend dans le lange. Il fait écho à la mode féminine de la fin XVIIIe des fichus qui se croisent sur la poitrine dans le décolleté des robes, des guimpes et canezous des années 1830. Le fichu ou pointe de cou sert aussi de bavoir pour protéger la brassière.

▲Femme changeant un enfant, par Willem van de Passe, 1624, Rijksmuseum, Amsterdam

▲Le Devoir paternel, par Adriaen Brouwer, 1631
Gemälde Galerie, Dresde sur wikimedia commons

▲La visite à la nourrice (détail), par Abraham Bosse, 1633
The Metropolitan Museum of Art, New York

▲La veille à la ferme pendant l'hiver (détail), par Jacques Stella d'après Claudine Bouzonnet-Stella, 1667
BnF, Paris

▲Jeune mère faisant la toilette à son enfant, XVIIIe siècle
La grande sœur fait sécher la couche, qui est réutilisée sans être lavée.
BnF, Paris

Des bébés entravés, rarement lavés et changés

La nourrice ne renouvelle bien sûr pas l'opération de démaillotement - emmaillotement plusieurs fois par jour. Il se dit dans des ouvrages d'histoire du costume que certains bébés étaient changés à peine une fois par semaine, aujourd'hui on a du mal à le croire ! Seuls les bébés royaux et princiers ont droit aux services d'une « remueuse » dont c'est la tâche exclusive.

Rarement lavé, le bébé de l'Ancien Régime est peu changé. Lorsque qu'on le démaillote pour le nettoyer, on lui essuie les fesses sans eau ni savon ; on lui poudre parfois le derrière à la fine poussière de bois vermoulu pour absorber l'humidité. Le lange imbibé est étendu devant la cheminée pour sécher, tandis qu'on remmaillote le bébé dans le lange de la veille qui a eu le temps de sécher, sans avoir été lavé. L'urine aurait des vertus désinfectantes...

De même, on attribue longtemps à la crasse des vertus protectrices. La croûte qu’elle forme sur la tête des bébés est censée protéger ses fontanelles fragiles, on considère qu’elle fait partie de son corps. Les poux sont longtemps considérés comme bénéfiques pour les petits enfants, on pense qu’ils les soulagent de leurs « humeurs viciées ». Le dauphin, futur Louis XIII né en 1601 – dont on connaît les moindres faits et gestes de la naissance jusqu’à l’âge de vingt-six ans, grâce au registre précis rédigé par son son précepteur, le médecin anatomiste Jean Héroard – ne prend son premier bain qu’à l'âge de sept ans. A six semaines, on lui frotte la tête, à deux mois on lui lave le visage et le front avec du beurre frais et de l’huile d’amande douce. Un peu avant son premier anniversaire, on le peigne pour la première fois parce que sa tête lui démange trop.

▲Le bureau des nourrices, par José Frappa (1854-1904), fin XIXe siècle
Musée de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, Paris

▲Mannequins d'enfants emmaillotés, 1889
Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée – MuCEM, Marseille
Ces mannequins font partie d'un ensemble de 38 poupons réalisés pour l'Exposition universelle de 1889
à l'initiative de Madame Landrin, inspectrice générale du service de l'enfance au Ministère de l'Intérieur.
Ils illustrent les divers types d'emmaillotement observés dans les hôpitaux de l'Assistance publique.
Pour en savoir plus, lire sur L'Histoire par l'image, L'emmaillotement

▲à g. : Le réveil de l'abandonné (détail), par Eugène Robert, 1894
Musée de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, Paris
à dr. : Emmaillotement du nourrisson, 1913
Guide pratique de l'enseignement ménager et agricole (page 133), J.-B. Baillière
sur Archives départementales de Meurthe & Moselle

Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle, sous l'influence des philosophes et du formidable succès de l’Émile de Jean-Jacques Rousseau qui révolutionnent l’éducation enfantine, que les classes aisées des villes découvrent les valeurs prophylactiques de l'hygiène et commencent à laver régulièrement leurs enfants. Pour les couches populaires, il faudra attendre le XXe siècle. Par ailleurs, le bonnet de baptême, qui a reçu les saintes huiles est considéré comme sacré ; il n'est jamais lavé.

Le bébé revêt sa première robe entre huit mois et un an, composée d'un corps baleiné, d'un jupon et d'un tablier. C'est le thème du prochain article.

À lire aussi sur Les Petites Mains, en complément de cet article :
Émile ou l'émergence d'un nouveau sentiment d'enfance au XVIIIe siècle ;
L'influence de l'Émile de Jean-Jacques Rousseau sur l'habillement des enfants ;
Mode enfantine et luxe, la layette ;
Bébé rose, bébé bleu.

(à suivre : La vêture des Enfants trouvés (5) – les enfants en robe)


7 commentaires:

  1. très interessant votre article, j'ai vu ma mère emmailloter mon frère de la manière indiquée sur la dernière image, d'ailleurs ma mère avait une chaise spéciale "basse sur pieds" afin que l'enfant ne roule pas par terre lors de l'emmaillotage ! j'étais bien jeune a l'époque 7 ou 8 ans ! début des années 50.
    selma cayol

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    1. Merci de votre témoignage.

      Après avoir été si longtemps dénoncé par les médecins, notamment pour éviter d'aggraver les luxations congénitales de la hanche, l'emmaillotage, qu'on nomme aujourd'hui sous le vocable anglais « wrapping », revient à la mode.

      Si bien qu'on voit réapparaître des avertissements qu'on croyait d'un temps révolu, comme cet article du Figaro : http://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/11/01/21467-emmailloter-bebes-heresie

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  2. Super interessant! felicitation pour ce beau travail. Une vraie mine d'or ce site pour ceux qui aiment l'histoire et la culture. Bravo encore une fois.
    Nadia

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  3. Bonsoir, Oui super interessant ses articles, j'ai trouvé votre site suite a mes recherches sur mon ancêtre direct trouvé le 6 février 1829 a la porte de l'Hospice Général de ROUEN enfant de sexe masculin Nouveau né, lequel s'est trouvé revétu des effets ci après; savoir:
    Un bandeau, un bonnet d'indienne fond brun à rayure blanches et a fleurs jaunes doublé d'étoffe blanche, une chemise à brassière, une brassière d'indienne pareille au bonnet doublée d'étoffe blanche deux pointes de fichu de toiles à carreaux rouge et blancs, une couchette, un linge de toile blanche, un lange de linge neuf.
    Pour remarque : un bout de Ruban de Galon de soie noire et un billet ainsi conçu : Cet enfant n'est pas baptisé il est porteur d'un ruban de soie noire à cotte au tour du Col, on désire qu'il se nomme François...
    cet habit en indienne en 1829 a Rouen, est il représentant d'une classe ou catégorie d'individu ? et y a t'il une signification a ce ruban noir ?
    en échange de ce témoignage, merci de me répondre si vous avez une idée.
    Cordialement
    blainphilippe@sfr.fr

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    1. Bonjour Philippe,
      L'indienne est le nom donné aux cotonnades imprimées. En 1829, c'est un tissu très commun dans le vêtement d'enfant, ce n'est donc pas un signe d'appartenance sociale - il aurait fallu voir la qualité de l'indienne.
      Lorsqu'on abandonne un enfant dans un hospice, il est extrêmement courant qu'on se donne la possibilité de venir le récupérer dans un avenir plus ou moins lointain. Ce galon de soie mentionné dans le billet est donc un signe de
      reconnaissance que l'enfant pourra faire valoir plus tard le cas échéant à sa famille biologique.
      J'espère avoir répondu à vos questions - avec du retard, veuillez m'en excuser.
      Bien cordialement, Popeline

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  4. Bonjour

    Maman de 3 enfants, souvent en couches lavables j'ai une petite remarque.
    Mon premier enfant, que je n'ai jamais pu allaiter en plein, donc biberon et allaitent, 6 selles/jour, bain tout les jours, changes plusieurs fois par jour.

    Mes 2e et 3e bébés, allaités en plein, pas de selles le premier mois(absorption complète), puis 2 fois/mois, je lavais les couches, mais si je laissais sécher parfois en attente de lavage et aucune odeur jusqu'à 6 mois(fin de l'allaitement exclusif). Ils étaient dans les stats hautes de taille et poids jusqu'à 8 mois(je suis un petit gabarit).
    Je ne leur prenais pas le bain tous les jours, mais tous les 4 jours et ça ne posait aucun problème.

    Pour relativiser l'hygiène ancienne, remettre en contexte...

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