31 mars 2011

Sous l’Égide de Mars (costume militaire vs costume civil)



On oublie souvent ce que l’histoire du costume doit à l’armure : sinon comment expliquer – c’est un exemple, la mode au XVIe siècle du pourpoint rembourré à pointe proéminente, le panseron ? Cette arête médiane, fort utile sur l’armure pour détourner les coups portés par les armes et autres projectiles, ne se justifie guère sur le costume civil.

▲à g. : Portrait de Robert Dudley, premier comte de Leicester
attribué à Steven van der Meulen, 1564, sur Wikimedia Commons
à dr. : Sir John Shurley of Isfield, peintre anonyme, 1588
The Metropolitan Museum of Art, New York

▲à g. : Dos de brigandine, acier, cuivre (métal), textile (technique générale), milieu XVIe siècle
France ou Italie, Musée national du Moyen Âge - Thermes de Cluny, Paris
sur Agence photographique de la RMN
La brigandine est une sorte de pourpoint de toile ou de cuir recouvert de lames ou d’écailles d’acier
qui forme une sorte de cuirasse. Son nom vient des brigands – ou soldats à pied qui la portaient
et dont les excès de pillage ont donné au mot la signification qu’il a aujourd’hui.
à dr. : Portrait de l’empereur Maximilien II, par Antonio Moro, 1550
Musée du Prado, Madrid

▲à g. : Portrait de François Ier, roi de France, par Jean Clouet
vers 1530, Musée du Louvre, Paris
à dr. : Plastron (pièce d’armure) de Pompeo della Chiesa, créée vers 1580-1600 à Milan
doré (technique), fer forgé (matière), gravé, Musée de l’Armée, Paris
sur Agence photographique de la RMN

▲à g. : Armure du Dauphin Henri, futur Henri II
réalisée entre 1536 et 1547 par l’atelier des frères Negroli
argent (métal), damasquiné, fer (métal), Cabinet d'armes de la Couronne de France
Musée de l’Armée, Paris sur Agence photographique de la RMN
à dr. : Portrait de Vratislav de Pernstein, par Jacob Seisenegger, 1588
Château de Nelahozeves, Prague

▲à g. : Armure aux lions, attribuée à Giovanni Paolo Negroli (1513-1569)
fabriquée à Milan vers 1540-1545
argent (métal), damasquiné, fer forgé (matière), or (métal)
Musée de l’Armée, Paris sur Agence photographique de la RMN
à dr. : Charles IX, roi de France, seconde moitié du XVIe siècle, d’après François Clouet
Musée Condé, Chantilly

Les historiens du costume estiment même que c’est vraisemblablement sous l'influence de l'armure et des vêtements portés sous l'armure par les hommes, qu'est apparue vers 1340-1350 la « mode » marquant la différenciation des vestiaires masculin et féminin. Ce phénomène spécifique, propre à l’Europe occidentale, est considéré comme la naissance de la mode, du latin « modus » (manière, mesure), qui désigne la manière, puis la façon de se vêtir (le terme anglais fashion a gardé cette connotation), avant de prendre le sens de « manière collective de se vêtir » vers 1480.

▲à g. : Portraits des princes palatins, Charles Louis Ier électeur (1617-1680) et de son frère Robert (1619-1682)
par Anton van Dyck, 1637, Musée du Louvre, Paris
à dr. : André François Alloys de Theys d'Herculais, par Nicolas de Largillière, 1727
The Metropolitan Museum of Art, New York

▲à g. : Corset en fer de l'époque de Catherine de Médicis, 1590
Musée National de la Renaissance, Ecouen sur Agence photographique de la RMN
au centre : Portrait d'une femme, École florentine, XVIe siècle
The Metropolitan Museum of Art, New York
à dr. : Robe redingote, détail de jockei à l’épaule, vers 1810-1812
collection UCAD (Union centrale des Arts décoratifs) – UFAC (Union Française des Arts du Costume)

▲à g. : Armure de George Clifford, 3e comte de Cumberland, Angleterre, vers 1585
The Metropolitan Museum of Art, New York
au centre : Le banquet d'Hérode (détail), par Garcia de Benavarri
vers 1470 sur wikipedia C’est la première représentation connue du verdugo.
à dr. : Portrait du roi Philippe II d’Espagne en armure, par Le Titien, 1550
Musée du Prado, Madrid

▲à g. : Cotte de mailles, XIVe siècle, Musée de l’Armée, Paris
sur Agence photographique de la RMN
au centre : Portrait de Charles Quint et son chien, par Jacob Seisenegger, 1532-1533
Musée du Prado, Madrid
à dr. : Braguette d'armure, XVIe siècle
extrait de Vangaard, 1972 sur le blog Le Rituel et le Matériel

Avec le développement de l'artillerie, l'armure perd de son importance au XVIIe siècle, son utilité est en recul, elle est simplifiée, mais on continue de la porter jusqu’au XVIIIe siècle pour la parade et sur les portraits d’apparat. La tradition du soldat qui sert son pays et son monarque figure désormais comme modèle d’attitude, l'armure rappelle l'état de son propriétaire et sa bravoure. La noblesse va imposer pour plusieurs siècles cette exigence du « corps redressé » – l’expression est du sociologue et historien Georges Vigarello, dans le code des postures et de l’élégance.

Cela concerne la mode féminine aussi bien que masculine. Le corset des femmes est le symbole de l’armure de leurs époux, et peut-être faut-il voir là l’explication de ces fameux corsets de fer forgés, estimés pour la plupart de 1590-1600, que Catherine de Médicis aurait rapportés d’Italie au moment de son mariage avec Henri II. D’après l’historienne Valérie Steele, spécialiste du corset, ils n’ont jamais été portés et tiennent du mythe, comme les ceintures de chasteté du Moyen Âge. Même les premières représentations du verdugo, ancêtre du panier, sont assez éloquentes.

Outre cette rigidité hiératique, que le port de la fraise va encore accentuer [Lire sur Les Petites Mains, l’histoire de la fraise en 6 épisodes], on retrouve dans l’armure et le costume civil les mêmes lignes verticales qui stylisent et façonnent le corps, le même détail des découpes, le même répertoire décoratif de motifs et tracés or et argent à entrelacs et rinceaux. Le décor des riches étoffes des pourpoints et le travail du métal damasquiné et repoussé des armures se répondent. Lequel a inspiré l’autre ? La forme proéminente en coquille de la braguette voit certainement son origine dans le gousset de la cotte de maille destiné à protéger le sexe. La pièce d’épaule rapportée à l’emmanchure, qu’on retrouvera par intermittence dans les modes jusqu’au XIXe siècle apparaît à la Renaissance : elle prend à coup sûr naissance dans le costume militaire et ses renforcements destinés à protéger les articulations et points sensibles du corps. On note aussi que c’est sous le règne de François Ier qu’on commence à porter l’épée avec le costume civil, habitude qui va modifier la posture masculine jusqu’à la Révolution française, et même au-delà si on admet le point de vue que la canne est un avatar de l’épée.

▲Portrait de Cornelia Burch à deux mois
École flamande, 1581, Hull City Council

▲g. : Demi-armure en fer pour enfant, fabriquée vers 1550-1560 en Allemagne sous le règne de Henri II
Musée de l’Armée, Paris sur Agence photographique de la RMN
à dr. : Portrait du roi Jacques Ier d’Angleterre, IV d’Écosse, enfant
par Rowland Lockey d'après Arnold van Brounckhorst, 1574
National Portrait Gallery, Londres

▲à g. et au centre : Armure pour un enfant fabriquée en France vers 1550-1560
Cabinet d'armes de la Couronne de France
doré (technique), fer (métal), gravé, textile (matière) Musée de l’Armée, Paris
sur Agence photographique de la RMN
à dr. : Portrait de jeune garçon, auteur anonyme, vers 1570
Musée du Prado, Madrid

▲à g. : Portrait de Marie de Medicis, fille de Cosme Ier, par Agnolo Bronzino, 1551
au centre : Portrait de François de Medicis, par Agnolo Bronzino, 1551
Galerie des Offices, Florence
à dr. : Dessin de cuirasse attribué à Etienne Delaune, XVIe siècle
Musée du Louvre, Paris sur Agence photographique de la RMN

▲à g. : Portrait d’homme avec un enfant, école vénitienne, milieu du XVIe siècle
Musée du Louvre sur Agence photographique de la RMN
à dr. : Portrait présumé de Henri IV enfant, milieu XVIe siècle
Musée national du château de Pau sur Agence photographique de la RMN

▲à g. : Armure de Philippe III d'Espagne enfant, fabriquée à Milan vers 1585
à dr. : Portrait du prince, futur Philippe III d’Espagne en armure
par Juan Pantoja de la Cruz, vers 1592
Musée du Prado, Madrid

▲à g. : Portrait de Louis XIII à l’âge de 20-25 ans, par Pierre Paul Rubens
vers 1622-1625, Norton Simon Museum sur Wikipedia
à dr. : Armure du roi Louis XIII, fabriquée en France entre 1620 et 1630
cuir (matière), cuivre (métal), doré (technique), fer (métal), textile (matière)
Cabinet d'armes de la Couronne de France
Musée de L’Armée, Paris sur Agence photographique de la RMN

▲à g. : Portrait de Jean François de Paule de Créquy de Bonne, duc de Lesdiguières, 1687
par Hyacinthe Rigaud, Musée du Louvre, Paris
à dr. : Mademoiselle de Lambesc, de la maison de Lorraine sous la figure de Minerve
armant et destinant Monsieur le comte de Brionne son frère, au métier de la guerre
par Jean Marc Nattier, 1732 Palais des Beaux-Arts, Lille sur Wikipedia

Les enfants de haute naissance n’échappent pas à ce modèle de la rectitude du corps. Il s’acquiert dès la naissance, l’enfant porte des bandelettes puis un corset – cette habitude dure jusqu’à la fin du XIXe siècle. Le musée de l’Armée conserve dans ses collections plusieurs armures d’enfant. Le XVIIIe siècle voit se modifier le sentiment d’enfance qui simplifie le vêtement, mais comme leurs pères, à partir de sept ans, les garçons portent la culotte et les chausses [bas]. Comme leurs pères dont ils sont le miroir, les petits aristocrates portent l’épée et continuent de recevoir une armure.

▲Affiche de l’exposition Sous l’Égide de Mars, armures des princes d’Europe

Je vous invite donc à aller voir d’un œil un peu différent ces armures aux décors raffinés, créées par les plus grands artistes dont la plupart restent anonymes. Ce sont de véritables pièces d’orfèvrerie. Cette exposition permet d’entrer dans l’atelier des maîtres armuriers, de voir les dessins préparatoires de ces objets d’apparat portés par les prestigieux princes et souverains d’Europe au XVIe siècle, dont François Ier, Henri II, Charles IX, Henri III, rois de France, l’empereur Maximilien d’Autriche, le roi Erik XIV de Suède, l’électeur Jean-Georges de Saxe…

Sous l’Égide de Mars, armures des princes d’Europe
Musée de l’Armée, Paris, Hôtel national des Invalides
Du 16 mars au 26 juin 2011
On peut voir un florilège des œuvres présentées ici et une vidéo sur le site de l’ECPAD (Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense).

En 2010, le Musée du Prado a organisé sur un thème proche l’exposition El arte del poder. La Real Armería y el retrato de corte [L’art du pouvoir. L’armure royale et le portrait de cour] dont on peut voir ici des photos et des vidéos.

9 commentaires:

  1. MERCI POUR CE SITE : les illustrations sont magnifiques et comme je me prévoie de lire les textes qui sont semble-t-il aussi très interessants.

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  2. Pour mes visiteurs étrangers, j'essaie de faire en sorte que le propos de l'article se comprenne par les images, mais oui bien sûr, c'est mieux de lire le texte !

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  3. Passionnant comme à l'accoutumée. Dès que je rentre à Paris, je me rue sur l'exposition des armures. Vous nous donnez des indications précieuses - je n'avais pas envisagé cet événement du point de vue de la mode et de son histoire et de plus, les Invalides, c'est tout à côté de chez moi. Merci !

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  4. Et vous pourrez y emmener votre servant chevalier Claude...

    Je ne suis guère militariste, pourtant j'aime beaucoup ce musée des Invalides. Certaines pièces présentées sont des merveilles de technique et d'esthétique. En général, les enfants aussi adorent l'endroit.

    En attendant profitez bien du soleil du Lot.

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  5. Je me suis permis de mettre le lien de votre blog sur le mien qui parle du XVIe siècle car je le trouve fort intéressant et qu'il m'apporte des renseignements nouveaux. J'espère que vous n'y voyez pas d'inconvénient.

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  6. Je n'y vois pas d'inconvénient, au contraire : votre blog, Euterpe, est très intéressant et particulièrement bien écrit.

    Pour retrouver plus facilement sur Les Petites Mains les articles traitant du XVIe siècle, référez-vous à la liste des mots-clés, en particulier "XVIe siècle".

    Alors comme ça, Shakespeare serait une femme ?!

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  7. Merci pour votre appréciation et votre amabilité.

    Oui, il paraît que c'était une femme dissimulée sous une identité d'homme et il y a même deux candidates en lice ! Je vous mets les liens où j'en parle :

    http://lesaventuresdeuterpe.blogspot.com/2011/02/daucuns-pensent-que-shakespeare-etait.html

    http://lesaventuresdeuterpe.blogspot.com/2011/02/les-shakespearables-dont-amelia-bassano.html

    Bizarrement la France est imperméable à cette info qui circule partout ailleurs.

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  8. un grand merci pour ce blog sublime!! je pense mettre un lien sur mon blog! ;)

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  9. Merci pour ces chaleureux encouragements.

    Je connais Miss Woody - Nice Girl. J'aime beaucoup votre mix très bien dosé de "modeuse vintage mâtinée burlesque".

    Nous avons en commun le goût d'une écriture vivante, des belles images... et du costume marin. Aussi je me réjouis de ce lien que vous m'annoncez entre nos deux blogs.

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