24 mars 2009

Pauline, portrait de petite fille sous le Second Empire


Je m'appelle Pauline. J'ai sept ans. C'est un monsieur de passage à l'auberge de L'Ange Gardien qui a fait cette photographie, il a demandé la permission à Papa : « elle est si jolie, votre petite fille ». Il a tendu une grande toile dans la cour, il s'est caché sous une couverture noire derrière un grand appareil en accordéon sur un trépied de bois ; il me disait : « ne sois pas si raide... reste naturelle...»

Quand elle a vu la photographie, Maman a hoché la tête : « Tu aurais pu lui dire de se tenir droite, et ce collier est en trop, vraiment ! » Papa a souri : « Non, je trouve que c'est bien elle ». Je suis très contente parce que c'est ma robe préférée, celle avec le beau ruban bleu et les dentelles ; aujourd'hui j'ai grandi, elle est un peu trop courte, mais mon collier en perles de corail je le porterai toujours.

C'est tante Agathe, ma marraine, qui me les a donnés. Quand elle arrive par le chemin de fer, elle a toujours dans son manchon ou dans son sac de voyage un petit cadeau pour moi. Ma tante met des chapeaux à plumes et à rubans, elle est très élégante et elle sent bon, elle me fait envoyer de jolies toilettes. Elle dit que je suis toute chiffonnée, que mes robes grimacent parce que je ne porte pas de crinoline, et qu'à mon âge il est plus que temps que j'apprenne à me tenir. Elle m'a abonnée à La Poupée modèle pour que je prenne exemple sur des poupées à la mode et d'autres petites filles bien élevées.

Cela agaçe Maman, qui préfère m'acheter des livres de la Bibliothèque rose illustrée, elle dit qu'elle n'a pas envie que sa fille devienne une cocotte, mais plutôt une bachelière comme Julie Daubié qu'on a vue dans le journal. Ma tante crie qu'avec la dot qu'elle me prépare je serai un excellent parti, et qu'être trop instruite gâcherait mes chances de trouver un mari convenable. Cela fait rire Papa qui les laisse se disputer, il me prend dans ses bras et me chuchote : «Tu te vois grimper aux arbres avec une crinoline cage ? Tu resterais accrochée à une branche et les oiseaux feraient leur nid dans tes jupons !»

Moi j'aime bien les robes qui tournent, et les ombrelles, et mon petit éventail bleu à plumes qui vient de Paris, mais j'aime bien lire aussi, par exemple Les Malheurs de Sophie de Madame la comtesse de Ségur. Rrhô ! toutes les bêtises qu'elle fait Sophie ! Offrir à ses amis du thé fait de terre, de feuilles et de l'eau du chien ! Mais c'est normal, elle est encore petite, et parfois on ne peut pas s'en empêcher, comme l'autre jour, avec mon cousin Louis, on jouait dans le cellier et on cassé plein d'oeufs. On a eu la fessée, Louis pleurait et criait, mais moi pas beaucoup, je savais bien que c'était mal. On ne doit pas gâcher la nourriture alors qu'il y a tant de pauvres gens qui ne mangent pas à leur faim !


Photographie (ci-dessus) : Portrait de fillette par Charles David Winter, vers 1870, Musée des Beaux-Arts de Strasbourg

Planche : La Poupée modèle, 1864

Extrait vidéo : Les Malheurs de Sophie, téléfilm de Jean-Claude Brialy, 1981, Jakarno Productions & Antenne 2 (INA)


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